Assurément, 8 titres sur Le départ, ce n’est pas énorme. Mais c’est le prix à payer pour écouter la substance issue des plexus de Télégraphie. Ils sont Clermontois, dignes descendants d’un arverne chevelu, vivant sur une faille terrestre. Tant pis si vous avez déjà entendu la réflexion, mais le lien est trop évident pour ne pas en faire mention : quand on vit sur une chaîne volcanique, on ressent les grondements de la Terre. Et puis c’est tout.
C’est probablement de là que le quatuor tire sa rage contenue. Deuxième opus du groupe, avec le petit nouveau Kévin Ducellier qui s’insère auprès de Yannick Saunier, Jérôme et Arnaud Ranty, Le départ débute en vous tirant par les oreilles vers un tourbillon ensoleillé aux vibrations des cordes vrillées aux basses : "Nous irons voir la mer, et si tu veux on mentira" ("Voir la mer").
S’il ne fallait garder qu’un son, je dirai que l’album est un rock raffiné, entre les folies de la pop et la noirceur du punk. Quelques riffs de guitare vous tireront d’un mauvais rêve issu de la mélodie-vaguement-familière.
S’il ne fallait garder qu’une sensation, c’est l’audace dont le groupe s’empare pour sampler Truffaut (La nuit américaine), Godard (le rire de Brigitte dans Le mépris) et Perec (Un homme qui dort), et les incruster sur leurs titres, l’air de rien, se les appropriant, les rendant inhérents à leur univers. De quoi transfigurer un titre avec un monologue d’introduction intemporel : "Ne fait pas l’idiot, je sais il y a la vie privée, mais la vie privée elle est boiteuse pour tout le monde, les films sont plus harmonieux que la vie, il n’y a pas d’embouteillage dans les films, les films avancent comme des trains dans la nuit, je compte sur toi".
S’il ne fallait garder qu’un tempo, c’est celui d’un rythme cardiaque, tantôt s’emballant, tantôt ralentissant au gré des inévitables rencontres et déceptions humaines.
S’il ne fallait garder qu’une humeur, c’est cette sombre tendresse qui accompagne les sourires de bienveillance, celle qu’on appelle mélancolie.
S’il fallait l’associer à une réplique culte, ça serait indubitablement "atmosphère, atmosphère, j’ai une gueule d’atmosphère, moi ?…" entre vague à l’âme et ironie assumée.
S’il fallait résumer les dires, ils seraient une complainte de voyageur, assis au bord d’une jetée, attendant le prochain navire, la prochaine traversée, puisant dans ses souvenirs heureux pour affronter les nouvelles tempêtes ("Pardonnez notre enfance") : "son maigre capital de nuits blanches".
S’il fallait situer Le départ dans le temps, il serait d’une intemporalité saisissante, autant par l’universalité des textes que par la puissance de ses sons.
Les promesses non tenues, les espoirs déçus et les princesses déchues, Télégraphie scande avec fierté les intemporels maux des sociétés modernes. Leur meilleure arme : une séduction provocatrice à grands coups de cordes dans les caissons. 8 titres, un peu court, mais ne vaut-il pas mieux court et bon que long et mou ?
De la musique, des spectacles, des livres. Aucune raison de s'ennuyer cette semaine encore. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.