Joël Egloff est l'homme du moment. Son quatrième roman, " L'Etourdissement", vient de remporter le Prix Inter. Un prix qui offre la lumière à un livre à la fois émouvant et drôle, et à un écrivain au ton très personnel.
"L'Etourdissement" est un roman fort que vous n'oublierez pas. L'auteur possède le don de faire naître avec finesse la poésie et la beauté d'un univers glauque et désespérant. D'où une profonde émotion qui vous retourne le coeur et ne vous quitte plus. Il y a du Brel chez cet homme-là.
"On s'attache, même aux pires endroits. C'est comme ça. Comme le graillon au fond des poêles".
Se dessine sous nos yeux un "no man's land" sordide, entre une décharge, le bout d'une piste d'aéroport, et un abattoir où travaille le narrateur. C'est un homme sans nom qui déambule dans ce monde, en décalage. Un homme un peu enfant, si lucide et pourtant naïf, touchant de maladresse et de bons sentiments. Il vit chez sa grand-mère "A son âge, elle aime bien que les jours se ressemblent, sinon c'est la fin du monde ".
Et il rêve " Un jour j'irai voir ailleurs, même si on dit que c'est partout pareil, même si on dit qu'il y a des endroits où c'est encore pire. J'ai beau faire des efforts d'imagination, j'ai du mal à y croire, à ça". Et parfois il partage ses pensées avec son collègue. "S'il était pas là, Bortch, si j'avais pas quelqu'un avec qui parler un peu ici, peut-être bien que je serai devenu dingue depuis longtemps. J'aurai fait des demandes en mariage aux filles des posters, je serai tombé amoureux d'une génisse, on aurait tout plein de petits veaux"... Mais résumer " L'étourdissement " à cet univers serait réducteur. Ce n'est que la trame de fond à partir de laquelle Joël Egloff déploie tout son talent.
Il y tisse des situations cocasses désopilantes (irrésistible), des rencontres étonnantes servies par une écriture subtile qui vous accroche dès la première page, et vous emporte pour un voyage de rires et d'émois. Un abattoir, certes, mais on y "chante à tue-tête des airs d'opéra pour les carcasses", on mange des " tartines au cambouis ", on pêche dans " la rivière qui mousse " et à cause des lignes à haute tension trop basses " on se réveille avec les cheveux dressés sur la tête avec, dedans, de petites étincelles bleues qui crépitent."
Entre fatalisme et résistance, naïveté et lucidité, la beauté de ce roman touche intensément. On en sort étourdi par sa grâce, chaviré par les alliances inattendues des mots, et la tête pleine d'images fortes tant l'écriture est cinématographique. Un style qui mêle le burlesque et le tragique, un peu comme dans la vie, mais avec le regard du poète en plus.
Ce texte est unique. Quelque chose que vous n'avez jamais lu ailleurs. Un roman magnifique à savourer longuement.
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