Le Festival Les Nuits de l'Alligator a le nomadisme séduisant. Produit à Paris, avec La Maroquinerie comme QG, le festival rayonne également dans de mythiques salles de concerts françaises, du Stereolux à la Sirène en passant par la Coopérative de Mai et La Vapeur...
Pour sa douzième année d'existence sûre mais discrète, l'itinérance donnait à voir et à entendre une programmation de très (très) grande qualité, avec pour marques de fabrique musicales exclusives le blues et le rock dans leurs acceptions les plus exigeantes et les plus cotées. De fait, si l'on regrette de n'avoir pas croisé le chemin des Seratones, de Guadalupe Plata ou encore de The Sore Losers, ou recroisé même celui de Matthew E. White, on se réjouit grandement que le Consortium – centre d'art contemporain de Dijon – ait accueilli si généreusement, le 11 février dernier, William Z. Villain, Karl Blau et Bror Gunnar Jansson.
Comme je me suis toujours méfiée des "chouchous", William Z. Villain ne pouvait que m'être naturellement suspect. Encensé par Télérama et France Culture, passé en boucle sur France Inter, l'Américain originaire du Wisconsin a de quoi agacer dans son poli costume de nouvelle égérie – malgré lui – de la sphère culturelle française, dans sa version officielle et bobo. Au-delà de cet anti-teasing, il est clair que William Z. Villain a de quoi plaire tant ses pieds sont sur terre une fois sur scène.
Ce soir-là, l'artiste avait visiblement davantage envie de parler que de jouer, envie de partager et d'échanger plutôt que de prouver ce que sa réputation avait déjà fait précéder. L'homme est espiègle et facétieux, drôle et hilare à la fois, stupéfait de son succès et humble malgré son talent. Une première partie qui en réalité n'en est pas une : le public est conquis par les histoires joués (dans tous les sens du terme) par ce faux-méchant guitariste, qui nous fait chanter (ou bafouiller) sur "Cliff (Annelise)", qui descend dans le public dès la deuxième chanson, qui nous fait larmoyer sur son tube "Anybody gonna move ?", puis regretter sur "Her song", dernier titre du set...
Au-delà de la maîtrise technique de ce one-man-band tout à fait original, de la virtuosité avec laquelle il passe de sa pédale "loop" à sa National Resonator à 8 cordes, ce qui fait du set de William Z. Villain un chef d’œuvre c'est sa capacité, qui est aussi une folie visible, à varier l'émotion à outrance, à balader les sentiments de son auditeur sourire aux lèvres, à créer le naturel sans sombrer dans l'outrance de l'intimité... Bref, le succès est mérité.
Pauvre, pauvre Karl Blau qui voit, en quelques titres à peine, le public partir à la buvette la plus proche... Un triste flop, inauguré par un "That's how I got to Memphis" aux chœurs bien malheureux. Seuls Jon Hyde, son chapeau de cow-boy et sa guitare "pedal steel" retiennent l'attention. L'état d'esprit n'était pas à la country soul, qui s'est faite musique d'ambiance plutôt que set accompli. Un grand dommage.
Mais ce fut un petit mal pour un grand bien, car la suite n'était qu'impatience. Bror Gunnar Jansson, déjà vu et immédiatement aimé il y a deux ans au festival Europavox, monte sur scène, toujours impeccablement tiré à quatre épingles (pour moi, "l'homme le plus classe du monde") et annonce un rapide soundcheck. Inutile de dire que les rangs se resserrent et que les groupies naissant en un clin d’œil. Le blues authentique et garage-stylé du dandy suédois laissent sans voix et s'enracine sans mal au fond du cœur... Bror Gunnar Jansson est désormais une valeur musicale sûre, qu'il me tarde déjà de revoir...
|