Pour ses dix ans, le festival Generiq a mis les petits plats dans les grands, tout en confirmant son intéressante hybridité qui consiste programmer des valeurs sûres (pensons au déjà mythique concert d'ouverture par Patti Smith, à la chapelle de Ronchamp) tout en valorisant les figures montantes (King Mud, pour jouer les heureuses prosélytes). Dans cet ensemble luxuriant, j'ai fait le choix du mystère et du paradoxe...
Vous parler d'un concert entièrement fondé quasi exclusivement sur la création d'une atmosphère ne va pas être de tout repos. Il faut d'abord imaginer une salle, la salle de Flore, sise au Palais des Ducs de Bourgogne, à Dijon : tout en longueur, parquet au sol, lustres au plafond. Il faut ensuite peupler l'espace de sages métalleux tout de noir vêtus, buvant leur modeste bière assis sur leur chaise, et ce toujours aussi sagement. C'est que ce soir, le concert est acoustique, et les consignes drastiques : noir sur scène et silence dans la salle. Car c'est la famille Amenra que l'on vient surprendre d'une oreille, ce soir.
Le projet CHVE – initiales de Colin H. Van Eeckhout, fondateur et chanteur d'Amenra – c'est plus d'une demi-heure de chant lancinant, profond, type "drone music", accompagné d'une simple vielle à roue, sur fond visuel de feu de bois naissant au milieu d'une clairière obscure. Ça surprend, ça ennuie, ça captive, certains luttent avec le sommeil, d'autres partent loin, très loin dans des contrées que seule l'imagination peut faire naître, jusqu'à s'apercevoir que discrètement le flambeau est passé à Syndrome – soit à Mathieu Vandekerckhove, guitariste d'Amenra. Le paysage sonore, plus progressif que celui de CHVE, est une invitation à partir, les yeux fermés ou bien rivés sur le glissement doux et minimaliste des images en noir et blanc qui peuplent l'arrière-plan, à la recherche de quelque chose nommé "soi", toujours entre la vie et la mort. Ce projet sonore, nommé "Forever and a day" est une belle suite musicale du "Now and Forever" de 2012...
Que dire de la suite ? Imaginez les musiciens d'Amenra assis en rond, dans un silence qu'on aimerait total (car les bruits des bouteilles qui s'entrechoquent au fond de la salle en ont agacé plus d'un...) et dans un noir profond à faire pâlir tous les photographes. Imaginez ensuite l'harmonie – celle qui passe de la scène en votre for intérieur. Ici, tout est fait pour élever la pensée au spirituel, de l'entente parfaite des artistes au noir et blanc de l'image, qui sert de tremplin parfait à l'imaginaire. Ne quid nimis, disaient les Latins : autrement dit, rien de trop. Le set d'Amenra est exactement cela : une leçon d'équilibre entre la force et la sensibilité. Un moment d'une rare beauté...
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