La Polynésie, Port-au-Prince, Haïti nous évoquent des plages de sable fin et des cocotiers courbés offrant une ombre propice à la dégustation de cocktails enivrants… Gary Victor est né là-bas. Auteur de près d’une quinzaine de romans, il écrit que la vie est loin d’être une carte postale dans ces latitudes. La plupart des habitants vivent au-dessous de notre haut seuil de pauvreté, le travail manque et l’insalubrité est encore présente dans pas mal de foyers.
C’est dans cet Haïti-là que Gary Victor nous immerge avec Les temps de la cruauté, et le roman porte admirablement bien son titre. La vie de Carl Vausier est terriblement cruelle. Bon, il l’avait certainement bien cherché, c’est qu’on se répète au fil de l’histoire. Parce que nous ne pouvons nous résoudre à admettre que la vie puisse autant s’acharner sur le même personnage.
Le roman débute dans un cimetière, humeur glauque et voyeuriste pour le narrateur qui croise Valencia, jeune femme avec un nourrisson dans les bras. Il la trouve attirante, et mis à part la légende selon laquelle forniquer dans un cimetière porterait bonheur, il refuse de s’abaisser à de tels actes en un lieu aussi sacré à son cœur. Mais vu qu’il en a tout de même vachement envie, il forniquera avec Valencia, mais dans une maison digne de ce nom.
Il s’en va donc lui trouver un appartement correct dans lequel elle pourra s’abriter avec son nouveau-né. Sans transition, le récit opère un saut dans le passé de Carl Vausier, en perte de repères dans une cabane. Il y est hébergé gracieusement, juste pendant la durée de son stage. Mais son ami l’a prévenu, surtout il ne voit rien, il n’entend rien. Pas même les coups de l’homme sur sa femme (attirante… forcément).
Retour avec Valencia. Comme si le passé était indépendant du présent. Sans formules de position ni expression d’ellipse temporelle. Entre rêve et réalité, plusieurs passés se croisent et se positionnent jusqu’à former un puzzle d’une dimension qui vous coupera le souffle. De quoi reprendre le roman du début et de pousser vous-même le domino qui fait chuter le suivant, puis le suivant, jusqu’au final glaçant.
Mine de rien, Gary Victor maîtrise à la perfection les rouages de l’écriture, il semble perdre le lecteur jusqu’à un certain point, mais jamais complètement. A chaque fois que la lecture d’un nouveau souvenir me semblait éloigné du précédent, Gary Victor m’attendait entre les lignes pour m’indiquer quel détail suivre.
Les temps de la cruauté est un ensemble vertigineux, une spirale infernale. De quoi ouvrir la porte philosophale de l’esprit : il a suffi d’un seul moment pour que les autres basculent. La prochaine fois que vous prendrez une décision difficile, écoutez votre instinct, ça évitera les embrouilles. Je dis ça comme ça, mais écoutez Carl Vausier et vous m’en direz des nouvelles. |