Peter Behrens publie des romans depuis 1987, un bail. Il publie également dans des revues et anthologies. Il fut professeur de creative writing (créa plein de mini-him à sa plume)… Je vous passe l’énumération de ses participations, retenez simplement qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Les insouciants est son troisième roman. Un joli pavé à déguster accompagné d’un grand bol de liquide à votre convenance.
L’histoire commence en 1909 sur l’île de Wight avec une femme : Karin, et l’histoire se termine un sacré paquet d’années plus tard avec Karin, loin des rivages de l’île de Wight, loin de l’insouciance du début du 20ème siècle. Entre temps, Peter Behrens positionne un puzzle de lettres, de compte-rendus maritimes et de récités à la première ou troisième personne. Il oscille entre passé et présent. Le père, le fils, le grand-père, le beau-père ou la grand-tante sont tour à tour le personnage du chapitre.
Subtile, la compréhension résiste a priori au lecteur dilettante. La construction du roman est complexe, Peter Behrens ayant à cœur de raconter avant tout les histoires plutôt que de romancer l’Histoire pour servir ses personnages. La magie est dans les détails, dans la manière qu’ont les moments de s’enchaîner.
Les insouciants est une œuvre douloureuse, dans le sens où les lieux évoqués sont au cœur du conflit qui secoua l’Europe dès 1914. La petite histoire rejoint la grande et met en exergue les faits antécédents à la première guerre mondiale. Et certains passages sont bluffants d’intemporalité, la montée des extrémismes, le nationalisme, les regards en coin et les réflexions quotidiennes portent plus de douleur que la froide énumération des faits répétée en cours d’histoire.
Facile de trouver les protagonistes naïfs, la clairvoyance que nous prétendons avoir au regard des évènements du passé puise ses arguments dans les propos d’historiens. Et c’est précisément ce point qui gonfle l’ambition du roman. Peter Behrens a su placer ses personnages dans leur contexte, et rendre leurs propos contemporains de leur époque. Et la magie opère quand nous nous interrogeons avec eux sur l’avenir.
Entre Irlande, Angleterre et Allemagne, l’histoire d’amour de Karin et Billy traverse les mers et les années. La montée du nazisme angoisse les protagonistes qui se posent la question de fuir ou de rester ? La décision n’est pas aussi évidente que nous nous plaisons à penser.
Fort d’une architecture complexe, Les insouciants est un roman profondément humain, à la fois aveuglant de vérité et touchant de sensibilité. Peter Behrens a réussi la fusion entre une épopée personnelle et des faits historiques froids, il a donné une âme à l’Histoire. |