Un premier roman pour Cathy Bonidan, une fiction pour faire reculer l’ignorance, des personnages imaginaires qui citent des psychiatres ou psychologues reconnus, un doigt pointé sur ces "êtres d’exception qui ont devancé l’histoire", voici Le parfum de l’hellébore.
L’hellébore est une plante souvent administrée aux dépressifs et névrosés des siècles passés. Cathy Bonidan retrace les débuts de la psychiatrie avec la description de ce centre Falret, dans lequel se côtoient des anorexiques manipulatrices, des boulimiques, des enfants autistes et les personnalités que des médecins consentants ont jugé sage d’isoler de la formatée société.
En deux parties, le roman débute par des correspondances. D’abord entre Lizzie et Anne, plus précisément le courrier qu’Anne envoyait à son amie Lizzie. Echanges de lettres dans lesquelles on apprend qu’Anne a été placée dans ce centre pour épauler son oncle (et plus officieusement parce qu’elle s’est rendue coupable de l’acte de chair, et que ses conséquences ont dû être réglées rapidement pour éviter l’opprobre sur la famille).
Nous sommes en 1956, Anne a 18 ans et est la nièce du directeur. Pas si vieux tout ça. Lizzie est sa meilleure amie et elles doivent s’attacher la complicité de leur entourage pour poursuivre leur correspondance (évidemment réprouvée par leurs familles respectives).
Ces lettres sont entrecoupées avec le journal de Béatrice, une patiente anorexique au regard cynique et aux propos intelligents. Une adolescente de 13 ans qui ne met pas de mots sur la souffrance que lui cause cet "internement", pendant lequel elle a le droit de tenir un journal seulement quand elle ingurgite de la nourriture qui la répugne.
Il y a également le jardinier bourru, a priori psychopathe, finalement le seul capable de communiquer avec Gilles, enfant autiste dont la journée est rythmée de crises aussi inattendues que spectaculaires. La complicité naissante entre Anne et Béatrice, les familles démunies face à ces êtres d’exception, la société accusatrice, juge et bourreau. La mentalité de l’époque est minutieusement décrite, nous faisant entrer dans les mœurs du moment.
La seconde partie du roman est habitée par Sophie, étudiante un peu pommée qui se cherche, et se trouve en reconstituant la suite de l’histoire écrite par Anne et Béatrice. D’une rencontre à l’autre, Sophie colle les bribes de ses découvertes et retrace pas à pas le destin atypique d’Anna. C’est à travers elle qu’elle lève le voile sur le courage des combattants anonymes qui n’ont jamais cessé de lutter pour que le monde accueille chacun de ses vivants.
A travers ces héros ordinaires et attachants, leurs convictions émouvantes et leurs doutes quotidiens, nous prenons l’ampleur du chemin parcouru depuis les premiers internements sauvages et leurs traitements au mercure (qui tuaient plus qu’ils ne soulageaient réellement les patients). Le centre Falret est créé de toutes pièces par Cathy Bonidan, il est sur le début du chemin de la médecine actuelle, celle qui ne juge pas selon des critères, qui ne pense pas que les patients doivent atteindre la normalité. Cette médecine poursuit la quête de rendre l’indépendance aux êtres fragiles, tout simplement…
Une fois de plus, difficile de ne pas se poser la question "qu’est-ce que j’aurai fait à sa place ?". Serai-je sortie de mon rang pour proposer une nouvelle forme de thérapie ? Aurai-je osé une approche différente ? Aurai-je docilement suivi les règles et les consignes ? Ou aurai-je pris la défense de ceux qui n’avaient plus personne pour les aider ? Aurai-je risqué le rejet pour défendre mes idées ?
Ces questionnements restent malgré tout intemporels, chaque avancée se heurte aux traditions et au poids de l’héritage des anciens, la nouveauté est rarement accueillie à bras ouverts. Nulle gloire ne s’obtient sans combat disait l’autre… Un beau moment de littérature. |