En 2016, un essai surgissait de nulle part avec le titre Une colère noire : lettre à mon fils. Ce livre rencontra un grand succès, multipliant les prix, meilleur livre pour le point, meilleur livre essai pour le magazine Lire, premier prix pour le National Book Award. Sous la forme d’une lettre adressée à son fils, l’auteur inconnu Ta-Nehisi Coates revenait sur la condition de l’homme noir aux Etats-unis, à travers un discours non académique. "Tu sais à présent, lance-t-il à son fils, que les services de police de ton pays ont été dotés du pouvoir de détruire ton corps. Les auteurs de cette destruction auront rarement des comptes à rendre. Pour la plupart, ils percevront leur retraite". Le discours est lucide, sans contrepartie et l’actualité des derniers années aux États-Unis aurait du mal à le contredire.
Perçu par de nombreux lecteurs comme une ode à l’humanité mais aussi comme un cri de colère contre le racisme, ce mal qui gangrène la société américaine, ce livre sort en poche avec une préface d’Alain Mabanckou.
Alors évidemment, succès des librairies impose, l’éditeur se décida à envisager la traduction du premier livre de l’auteur, Le grand combat, qui nous raconte l’enfance de l’auteur dans les rues de Baltimore.
Cette enfance, dans la rue des quartiers délabrés de Baltimore s’effectue au milieu de la pauvreté, de la drogue et de la violence. Durant ses 20 premières années, l’auteur doit survivre aux petits caïds qui contrôlent les quartiers, faisant leur loi, aux affrontements de gangs sur fond de trafic de crack. Alors que la plupart de ses amis sombrent dans les fléaux de ces quartiers, lui, à contre-courant nous raconte comment il arrivera à embrasser une autre trajectoire, loin des flingues et de la came, pour devenir le journaliste qu’il est.
Cette survie, il la doit à son implacable père, ancien membre des Blacks Panthers, adepte de la littérature qui s’est donné pour mission de sauver ses enfants des gangs. Le livre devient une véritable ode à son père, Paul Coates, qui va élever une tribu d’enfant pour leur apporter un avenir.
Ancien du Vietnam, naturellement très autoritaire, Paul Coates va se tourner vers la littérature après son départ des Black Panthers, en faisant profiter le jeune Ta-Nehisi. Sa survie, le jeune auteur la doit à ces découvertes littéraires, Richard Wright et James Baldwin notamment mais aussi garce au hip-hop et à sa prise de conscience de l’identité black, à travers Malcom X. C’est alors une révélation pour l’auteur, adolescent rêveur, il se jure alors d’échapper à son destin de jeune égaré.
Censé nous raconter une histoire sombre, celle du Baltimore des années 80, il ressort de ce livre une histoire lumineuse et pleine d’espoir. Dans un livre empreint de musicalité, Ta-Nehisi Coates, à travers son magnifique combat, nous embarque dans un déluge de culture hip-hop et littéraire. On ressort grandi à la fin de ce livre coup de poing et surtout cultivé. Chaque chapitre, sous titré par le nom d’une chanson, est une petite pépite dont on se délecte avec un grand plaisir. Cela passe par Public Enemy, De La Soul, Burning Spear, Run DMC et bien d’autres.
On ne peut que s’incliner devant cet hommage d’un fils pour son père, de ce regard qu’il lui porte à travers des écrits faisant office de transmissions, de savoir et de vécu. Epopée lyrique aux accents hip-hop, portée par l’amour et l’ambition, Le grand combat reste donc l’histoire magnifique d’un éveil au monde et un magnifique message d’espoir.
On ne sait plus, au final, lequel des deux livres de Ta-Nehisi Coates confirme le talent de l’autre ni dans quel ordre on se doit de les lire (pour ceux qui ne les ont pas lus). Les deux sont des petits bijoux, à dévorer d’urgence… Et Ta-Nehisi Coates est un grand écrivain, qu’on se le dise ! |