Le Palais Galliera, musée de la mode, place le millésime 2017 sous le signe de l'Espagne avec trois expositions dont la première "Balenciaga, l'oeuvre au noir" sise au Musée Bourdelle, est consacrée au couturier Cristobal Balenciaga, surnommé "le couturier des couturiers", maître incontestable et incontesté par ses pairs en son temps et pendant trois décennies,
La commissaire Véronique Belloir, chargée du Département Haute Couture audit Palais, indique que l'approche proposée résulte d'une relecture formelle du travail de Balenciaga à la lumière de la symbolique d'une formule de l'art chymique, "l'oeuvre au noir" qui donne son sous-titre à l'exposition.
Cette corrélation tient à une expérimentation libre et créatrice, en l'occurrence ordonnée autour de la couleur noire.
Quant à la présentation en la maison d'un sculpteur, elle l'explique par une communauté de vocabulaire technique en termes d'équilibre des proportions et de souci du mouvement.
Démonstration est faite en 70 modèles, présentés dans une superbe scénographie de Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera, qui investissent tous les espaces du lieu en résonance avec les oeuvres du sculpteur Antoine Bourdelle.
Balenciaga, 70 nuances de noir
Noire est la couleur-phare du Maître qui use néanmoins de quelques touches colorées, mais encore faut-il parfois les débusquer telle la robe de cocktail en façonné de soir rouille placée dans l'atelier de peinture, et prendre le temps de poser son regard pour apprécier, dans un parcours circonvolutoire, les ruptures introduites par le rose, le rouge ou le blanc d'un ruban de taille, d'un col en renard polaire ou de manchettes perlées.
Mais le grand oeuvre de Balenciaga réside en une exploration monochromatique quasi obsessionnelle, celle d'une couleur intemporelle et polymorphe, érigeant la couture en art, par ses recherches sur la forme, la couleur et la lumière qui ressortent aux fondamentaux de la sculpture et de la peinture.
Avec une formation de tailleur et de premier d’atelier, Balenciaga connaît toutes techniques du métier, du dessin à la couture en passant par la confection du patron et la coupe, qui lui permettent d'élaborer seul un modèle tel que montré dans le Hall des Plâtres et s'inscrit dans le sillage des architectes de la mode telle Madeleine Vionnet dont il est le symétrique.
En quête de beauté plastique, si "l’impératrice du flou" privilégie les tissus souples et les drapés à l'antique, Balenciaga oeuvre dans la stylisation des formes et l'épure, avec des tissus qui supportent la ligne imposée.
Ce qui donnera naissance à des formes - tonneau, ballon, sac - qui dameront le pion au "new look" de Christian Dior, et tendront à l'abstraction géométrique telle la robe en quatre panneaux en plein biais d'une de ses dernières collections, celle de l'Hiver 1967,
Par ailleurs, il restitue la dualité ombre/lumière par le contraste des matières, l'alliance du mat et du brillant, le jeu de la transparence, la vibration du tissu par son façonnage - cloqué, matelassé, bouillonné - et l'apposition d'ornements, de la broderie à la passementerie, qui captent ou réfléchissent la lumière.
Ce qui se révèle de manière éclatante dans l'espace bétonné de l'aile Portzampac scandé par les sculptures puissantes de Bourdelle dont celles de la récente exposition "De Bruit et de Fureur - Bourdelle sculpteur et photographe".
La deuxième spécificité des créations de Cristobal Balenciaga ressort au tropisme ibérique.
En effet, il fait partie des "créateurs venus d'ailleurs" qui vont porter la haute couture française à son acmé et faire de Paris la capitale de la mode - ce que le Palais Galliera avait souligné en 2015 avec l'exposition
"Fashion Mix - Mode d'ici, Créateurs d'ailleurs", - et il arrive en France en 1937 à l'âge de 42 ans avec son background identitaire et culturel.
Et, au gré de la viiste, en sus, bien évidemment, du noir, du noir mystique au noir symbole du deuil mais aussi signe de prestige, le visiteur pourra déceler les résonances tant avec les portraits du Siècle d'or espagnol que les costumes traditionnels espagnols.
Des portraits d'apparat du peintre maniériste Juan Pantoja de La Cruzdu dont celui présentée dans l'exposition de la "Collection Alicia Horovotz" aux portraits de Goya qui immortalise les aristocrates telles la Reine d'Espagne Marie Louise de Bourbon-Parme et la duchesse d'Albe arborant la tenue populaire avec mantille toute en dentelles et volants des "majas".
De même pour des pièces de vêtement, bustier, corselet, capeline, les accessoires et le travail de broderie qui évoquent le costume de lumière du toréador et la réécriture contemporaine de ceux du 19ème siècle tels le boléro et le mantelet rehaussant une tenue de soirée. |