Comment résister au charme de Jeanne Cherhal, si fragile et timide, qui dit n'avoir que 8 ans ?
Jeanne Cherhal : Bonjour !
Quelles sont les raisons de votre venue sur ce festival et votre engagement pour le sida ?
Jeanne Cherhal : En fait, je n'ai pas vraiment l'impression que de venir jouer sur un gros festival comme Solidays soit la manifestation d'un engagement. Ce serait plutôt de s'engager toute l'année pour une cause comme le font les volontaires de Solidarité-Sida pour monter le festival ou faire du suivi auprès des personnes touchées par le sida.
Donc je n'ai pas l'impression de m'engager même si c'est une cause qui me touche. C'est déjà un plaisir de faire un festival et si en plus on peut avoir l'impression que notre musique et notre art puisse servir à quelque chose, au moins à fédérer des gens, à rassembler, c'est formidable. C'est un peu dans cette optique je suis venue.
Ma génération n'est pas née avec le sida mais est quand même très sensibilisée à ce problème qui fait partie du quotidien de manière très forte et très grave. C'est complètement naturel pour moi de venir jouer dans un tel contexte. Quel message souhaiteriez-vous adresser au public ?
Jeanne Cherhal : Je n'ai pas de message particulier. Peut être de prendre conscience qu'il y a des pays qui ont moins de chance qu'un pays démocratique comme le nôtre et qui bénéficie de moyens pour lutter plus efficacement contre la maladie qu'en Afrique par exemple. J'ai l'impression qu'en Afrique le sida ressemble à un fléau comme la peste et face auquel les populations sont impuissantes.
Vos chansons tracent souvent le portrait de personnages. Serait-il possible que vous en écriviez une sur le thème du sida ?
Jeanne Cherhal : Peut être. Pourquoi pas ? Je suis assez sensible, dans l'écriture de mes textes, à l'humain et à lé nature humaine dans ce qu'elle a de plus fragile. Ce ne sont pas les winners qui m'intéressent. Cela étant, on ne peut pas écrire une chanson comme on écrit un programme politique ou un slogan publicitaire. Je me méfie toujours un peu des messages politiques dans les chansons car cela peut être un peu lourd ou vulgaire.
Pensez-vous que l'on puisse parler de choses graves avec légèreté ?
Jeanne Cherhal : Oui, forcément. Et c'est une des manières efficaces de le faire, par le second degré ou l'ironie qui permettent de les glisser un peu moins violemment et de ne pas se limiter à des constats d'échec.
Quelles sont vos envies au plan musical ?
Jeanne Cherhal : Parmi les envies du moment est d'agrandir mon cercle sur scène. J'ai eu l'habitude de faire du piano-voix très longtemps et donc d'être seule sur scène. Cette année, j'ai vraiment "évolué" dans sens que j'ai vraiment appris ce qu'était le plaisir de jouer avec des gens sur scène ce qui me faisait très peur au début. Et c'est magnifique de partager sur scène avec des musiciens qui en plus sont géniaux. Quant à l'évolution, j'aimerai faire des choses plus étoffées sur scène, un peu plus rock.
Allez-vous jouer en duo avec Aldebert ?
Jeanne Cherhal : Nous n'en avons pas parlé. Il est vrai que j'aime faire des duos même s'ils sont presque improvisés, sans de vraies répétitions qui sont comme un bonus pour les spectateurs.
Quels sont vos projets pour le second semestre 2005 ?
Jeanne Cherhal : Nous terminons pour le plaisir par des festivals jusqu'à fin juillet la tournée qui a duré un an et demi. Et je vais retourner en studio assez vite.
Vous avez déjà des chansons en stock ?
Jeanne Cherhal : Oui, on a toujours des chansons en stock. Mais après il faut donner une cohérence au stock pour ne pas faire systématiquement un album parce que c'est le moment de le faire. Il faut avoir vraiment de la matière.
En resterez-vous au format piano-voix ?
Jeanne Cherhal : Non justement parce que la confrontation avec d'autres musiciens sur scène m'a donné envie d'évoluer et aussi d'être un peu plus impliquée dans la réalisation de mon album. Mon premier album "Douze fois par an" a été réalisé par Vincent Segal à une époque où je ne disposais pas des clés et des outils pour réaliser un album. Pour le second, j'ai vraiment envie de m'impliquer davantage dans la production et les arrangements.
Et éventuellement de mélanger les univers musicaux ?
Jeanne Cherhal : Oui.
Quel a été l'apport du travail avec Vincent Segal ?
Jeanne Cherhal : Il m'a apporté une confiance en moi que je n'avais pas forcément. Je n'avais pas le sentiment que mes chansons pouvaient être "jouables" par d'autres personnes que moi. Et je ne me sentais pas prête à franchir le pas pour jouer et enregistrer en groupe.
Vincent m'a ôté des complexes à ce niveau là et m'a poussée dans mes retranchements, ce qui n'est pas toujours très agréables, mais qui m'a fait énormément progresser. Et même s'il n'a pas fait la tournée avec nous puisqu'il tournait avec M et Bumcello, il est resté très proche du projet et très impliqué tout au long de la tournée. Cette tournée n'a pas été trop dure ?
Jeanne Cherhal : Nous avons effectivement beaucoup tourné, 200 dates en un an et demi, ce qui peut paraître beaucoup, mais quand on est à l'intérieur on ne s'en rend pas compte car c'est un rythme à prendre. Cela ne m'a donc pas paru surhumain car j'étais entourée d'une équipe très à l'écoute. Et la tournée s'est en fait arrêtée il y a un mois et j'étais en vacances. Je reprends aujourd'hui et je suis donc à peu près fraîche !
Les vacances cela veut dire repos total ?
Jeanne Cherhal : Honnêtement, je n'ai jamais vraiment l'impression d'être en vacances dans ma tête . Quand on fait des métiers liés à la création, au contact avec le public, avec l'écriture, j'ai toujours tendance à tout projeter dans ma tête même si je ne me promène pas toujours avec un petit carnet pour prendre des notes. Les vacances font du bien mais je m'ennuie vite. Je ne suis pas du genre à rester 3 mois sans rien faire.
Il se dégage de vous à la fois une fragilité et une grande force. A quoi cela tient-il ?
Jeanne Cherhal : C'est bizarre et original comme question. C'est comme cela qu'on m'a faite.
Pourquoi ne vous voit-on pas plus souvent dans les médias ?
Jeanne Cherhal : Pour moi, l'essentiel dans ce métier c'est de faire des chansons et des concerts. Le côté média même s'il est très important reste toujours secondaire pour moi. Il s'agit plus d'un outil que d'une fin en soi.
Qu'avez-vous conservé de votre enfance qui vous donne cette fraîcheur et cette volonté de faire ce métier ?
Jeanne Cherhal : En réalité, j'ai 8 ans ! (rires). J'ai toujours été une petite fille timide et je pense qu'il ne s'agit pas d'un hasard si j'ai choisi un métier qui est basé sur l'exposition de soi et la confrontation avec les gens qui sont devant soi. Se retrouver seule devant 1 000 personnes et que tout repose sur soi, ce n'est pas du tout naturel comme situation.
Mais cela m'a toujours attiré et j'ai fait des spectacles très jeune alors que je suis restée relativement timide. Même quand je voyais 15 personnes qui m'attendait je n'étais pas fière. Mais cela n'est pas incompatible d'avoir peur devant 15 personnes et de faire des concerts devant 1 000. Quel est le ressenti durant les grands concerts et le trac diminue-t-il au fil du temps ?
Jeanne Cherhal : Non, je ne pense pas. Et le trac n'est pas lié au nombre de personnes. Lors de mes premiers concerts, il y 5-6 ans, j'avais tellement peur que j'en pleurais avant de monter sur scène.
Il s'agissait d'un défi ?
Jeanne Cherhal : Non mais je savais que j'adorais la scène et le seul moyen d'y arriver était de surmonter cette peur qui était dramatique.
Le fait de ne pas parler de soi sur scène, de chanter des textes qui parlent des autres aide-t-il ?
Jeanne Cherhal : J'ai l'impression que je parle néanmoins vachement de moi même si je ne dis pas toujours "je". Je ne peux chanter que des choses que je connais un peu, que je ressens. Et c'est sans doute aussi la raison pour laquelle c'est aussi flippant. On peut parfois se demander où est la limite entre le spectacle et l'exhibition. Cependant je n'ai pas l'impression d'être impudique. Il n'en demeure pas moins que c'est très flippant et pas naturel.
Vos incursions dans le théâtre ne vous ont pas aidé ?
Jeanne Cherhal : Non car je n'ai pratiqué le théâtre qu'en amateur au lycée et à la fac.
Ne pensez-vous pas qu'il soit paradoxal de parler de la crise du disque alors que la production française est florissante ?
Jeanne Cherhal : C'est paradoxal mais dans le détail, à quelques exceptions près, on ne vend plus de disques d'autant que nous sommes de plus en plus nombreux à émerger. J'ai eu la chance que mon disque marche à peu près. Il y a une part de hasard. Ce sujet ne me passionne pas vraiment même si c'est mon métier. Pour ma part, je pense que j'ai vendu des disques parce que j'ai fait énormément de concerts.
Cela vous surprend-il d'avoir un public aussi nombreux lors de vos concerts ?
Jeanne Cherhal : C'est effectivement impressionnant de constater que ce que l'on fait parle à beaucoup de gens. Ce qui me plaît est la diversité du public que je peux constater dans la salle.
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