Comédie dramatique de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Jean-Charles Mouveaux, avec Vanessa Cailhol, Philippe Calvario, Jil Caplan, Jean-Charles Mouveaux et Chantal Trichet.
"Juste la fin du monde" constitue un des opus-phare de la spécificité de la prosodie lagarcienne, et sa "petite musique", qui semble s'élaborer in situ et in vivo et réussit l'hybridation symbiotique du "naturel" de la langue orale commune et de l'artificialité littéraire de l'écriture ressassante. Imbriquant scènes dialoguées, soliloques et monologues et ressortant au théâtre de parole, celui du dire, dont Jean-Luc Lagarce sonde les ambiguités sémantiques, la partition traite du thème matriciel du retour du fils prodigue mais dans une déclinaison mélancolique dépourvue du "happy end" du texte lucanien. A l'approche d'une mort annoncée, déjà embarqué sur le Styx entre deux mondes, le fils aîné, qui s'est émancipé de l'ancrage familial par un départ vers un autre (mi)lieu et une famille d'élection, et une rupture radicale, ne donnant que des signes de vie ponctuels par quelques banals mots-formules sur des cartes postales, revient au bercail pour d'ultimes retrouvailles. Mais la figure paternelle est absente, le père mort semble rayé de cet album de famille ouvert à vif, et, avec des catharsis avortées, chacun essayant de renouer le fil rompu sans y parvenir, la résilience n'interviendra pas.
Inlassable explorateur de l'oeuvre de Jean-Luc Lagarce, Jean-Charles Mouveaux met en scène l'opus en indiquant vouloir en donner "une lecture nouvelle" et se focalise sur le texte en s'abstenant de la mise en situation naturaliste de cette "kitchen-sink-drama" sous hautes tensions.
Ainsi, la scénographie de Raymond Sarti, dont noire est la couleur à l'instar des tenues des interprètes, conçue sur le mode du "black cube" avec une simple installation de vieilles tables vintage empilées et renversées comme métaphore d'une famille chaotique, évoque, nonobstant les escalades des interprètes, une chambre mentale dans laquelle seraient convoquées des voix pour un oratorio des endeuillés. Egalement au jeu, Jean-Charles Mouveaux campe le "revenant" souvent mutique, comme étranger aux autres et à lui-même. A ses côtés, une distribution émérite pour une polyphonie maîtrisée : Chantal Trichet, la mère terrienne qui tente de rassembler sa couvée à l'aune du passé, Jil Caplan, l'épouse du frère, la pièce rapportée, témoin affligé et médiateur impuissant, Philippe Calvario, le cadet frustré de fraternelle complicité affective et demeuré dans la rivalité intestine de l'enfance, et Vanessa Cailhol, la petite soeur née trop tard qui a rêvé de l'absent idéalisé. Mention spéciale à Vanessa Cailhol, souvent vue dans des spectacles musicaux, qui révèle son potentiel dans le registre dramatique, et à Philippe Calvario qui restitue de manière saisissante et poignante la dimension douloureuse de l'écorché vif. |