Ce
sont parfois les détails qui laissent l’empreinte la plus profonde.
On se surprend ici à avant même l’écoute de ce disque
des Edison Woods à s’arrêter sur son titre
évocateur Seven principles to leave no trace
et à s’amuser de la présence d’une plume d’oiseau
insérée au milieu du livret, comme un de ces objets qu’on
pense pouvoir ramener d’un rêve au petit matin : ici les oiseaux
migrateurs fantomatiques du disque ont ainsi laissé un indice de leur
présence fugitive, ou plutôt les auteurs nous ont fait ce petit
signe de la main sympathiquement ridicule pour souligner que l’album-objet
est avant tout un message entre eux et nous.
Bon, ne nous arrêtons pas sur ces détails un peu fleur bleu même
s’ils font partie de la découverte de l’univers qui se dessine
dynamiquement entre le groupe et nous, le disque n’est toujours pas dans
la platine, dépêchons nous de ne pas rater ce rendez vous proposé.
Edison Woods tente de s’inscrire ostensiblement dans la lignée
du courant du post rock le plus mélancolique (ni épique, ni math-rock)
proche jusque dans ses thèmes bucoliques d’Esmerine ou
de the Rachel’s voire parfois d’un Low, d’un
Sigur Ros ou d’un ASMZ première époque,
malgré une nette préférence pour des sensibilités
plus légères du spleen : pas d’ambition de changer le monde
mais de s’arrêter modestement sur des chemins de traverse.
On retrouve ainsi un habillage étheré et appliqué à
base de cordes, de scie musicale, de mélodies minimalistes et de tout
l’attirail qu’on imagine volontiers en pareille situation, le groupe
s’escrime alors à repasser dans des traces bien connues mais parcourues
avec une sensibilité propre, faite avant tout de simplicité et
de candeur. La réalisation elle même reste un peu approximative,
à s’observer chercher à creuser sa propre voie, et les maladresses
fruits de cet amateurisme relatif créent une distance qui empêche
d’adhérer pleinement à leur démarche.
Le difficile exercice, souvent sur le fil du rasoir et à la limite du
casse gueule, de dilatation du temps souffre en effet ici d’une faiblesse
dans la structure des compositions qui rend les morceaux peu convaincants et
à vrai dire assez ennuyeux, la matière qui manque empêche
de s’y attacher profondément et intensément. Le souci d’écriture
est en effet principalement focalisé sur les textures, les sons, et les
nappes d’instrument aux arrangements soignés qui véhiculent
certes un paysage précis et avenant mais dans lequel les différents
éléments sont souvent en conduite automatique et en faire valoir
d’un voie mélodique claire mais quelconque.
On est plus proche de la musique d’ambiance et que de propositions plus
ambitieuses et inédites que l’on recherche usuellement : faire
du pathos avec un violon ou un piano minimaliste reste objectivement un non
événement.L’univers qui se profile avec clarté en
est ainsi fragilisé par son absence de propositions enthousiasmantes
et cet aveuglement à croire à la pertinence et la justesse de
la pauvreté de la construction.
L’album reste très écoutable mais la déception est
là de se retrouver loin de la variété et la richesse du
propos des maîtres du genre, en clair un manque singulier de relief et
de flamme, de propositions musicales valables. On reste uniquement touché
par l’amateurisme soigné et sincère de Julia Frodahl,
chanteuse et tête pensante de la formation, qui ne nous empêche
pas de voir s’agiter dans son dos les ficelles qui font s’animer
mollement le avatars d’Edison Woods : un monde visiblement factice peuplé
de très nombreux instruments utilisés pour leur timbre avant tout
dans une sorte d’écriture intuitive et primitive plus que pour
aborder la complexité de leur association source potentielle de paroxisme,
de surprise ou d’évasion véritable.
Si le disque est donc peu intéressant, les possibilités restent
pourtant relativement prometteuses, avec parfois des idées qui rappellent
les ambiances que défrichent avec plus ou moins de succès, mais
avec une vraie originalité, à la fois Lisa Gerrard et
Lisa Germano. On est en effet ici surtout fatigué par l’indigence
scolaire de la musique et le manque de lucidité à vouloir s’approprier
un héritage musical approximatif, enfin et avant tout par le fait que
cela ne fonctionne pas, cet échec relatif n’est pas au niveau de
la sensibilité pas banale qu’on percoit fugitivement en arrière
plan. On attendra pour ces raisons avec intérêt la possibilité
de retrouver cette sensibilité exploitée dans un autre projet
qui offrirait des costumes dans lesquels Julia Frodahl se sentirait sans doute
plus à son aise.
Un rendez-vous manqué. |