"Ça fucking va ?"
Dimanche 20 août, 21h45. Une drôle de sensation m’étreint alors que Mac DeMarco fait son petit numéro sur la grande scène. Quelque chose d’abord de léger, mais qui devient de plus en plus clair. Une boule qui ne cesse de grandir. Le malaise devient évident, le cœur se serre. Oh, ce n’est pas la faute à DeMarco ni à ses pitreries que l’on commence à connaître par cœur ni à sa musique qui tourne, malgré des arrangements plus synthétiques, sérieusement en rond. Non, c’est autre chose. Cette affection, ce trouble ce n’est rien de moins que du spleen, un coup de blues. Bien sûr il y a la fatigue, c’est le troisième soir (quatrième en comptant le concert du jeudi soir à la Nouvelle vague). Mais cela va plus loin. Alors, les différents concerts, tous ces moments, toutes ses rencontres, tous ces sourires, s’égrènent en un long flashback…
Il n’y a rien de plus personnel que le ressenti pour un concert. S’il y a des points sur lesquels tout le monde semble s’accorder (qualité du son et de l’interprétation, investissement des musiciens), le goût, les couleurs, les attentes de chacun peuvent être si différentes. Cette édition est-elle un excellent cru ? Réponse difficile, seul le temps le dira vraiment. Ce qui est certain, c’est qu’elle a été d’un excellent niveau. L’affiche aura donc tenue toutes ses promesses, ou presque.
Vendredi, 20h30
Un frisson nous parcourt à l’arrivée en procession de PJ Harvey et de ses musiciens. Tout est réuni pour un grand concert : une chanteuse qui n’a rien perdu de son écriture, de sa voix ni de son charisme et des musiciens de grand talent : Terry Edwards, Mick Harvey ou encore John Parish. Néanmoins, c’est rapidement le malaise. Rien à redire sur la qualité d’interprétation : les musiciens sont parfaits, PJ Harvey chante toujours magistralement et ce dans tous les registres, mais il y a une certaine frustration.
Cette arrivée en fanfare sombre, avec un petit côté Arcade Fire première période, toute en rythmes martiaux semblait le présage d’arrangements plus intéressants, plus foisonnants rythmiquement notamment. Alors pourquoi 3 grosses caisses et plusieurs caisses claires sur scène pour en définitif peu d’invention rythmique ? Et quel intérêt d’avoir trois saxophones (deux plus un, soyons sérieux le jeu de saxophone de la chanteuse Britannique est anecdotique) sur scène pour autant les sous-exploiter.
Le solo free jazz archi rabâché sur "River Anacostia", titre final du concert est une preuve supplémentaire de l’utilisation de travers de l’instrument. L’anglaise se montre indéniablement pleine de classe, d’une sensualité sombre, féline, venimeuse et le choix des chansons balayant presque à rebours sa discographie est pertinent. Pourtant au définitif le coté impénétrable, trop carré, trop distancié du concert nous laisse clairement sur le côté. Alors oui, plus que de la déception c’est de la frustration.
La "froideur" du concert détonne avec la prestation de Foxygen quelques minutes plus tôt. Certes, on peut rester de glace voire trouver ce barnum factice ou too much. Avec sa musique au plaisir facile (et efficace) cherchant l’essence du rock (et de la soul), avec un sens de l’immédiateté, de l’écriture pop et des arrangements (Jonathan Rado et Sam France sont pétris de talent, c’est indéniable), du spectacle et de la subversion (Sam France maquillé à outrance jouant sur une certaine ambiguïté sexuelle, attitude provocatrice non dénuée d’humour, cul nu sur le grand écran en train de changer de vêtements, petites phrases sur son amour pour l’Amérique, choriste (et petite amie ?) potiche sexy clairement assumée), Foxygen donne une définition parfaite du Glam rock. Attention, la qualité musicale est clairement au rendez-vous, les titres gagnent même en cohérence sur scène…
00h12… la messe est dite. Idles nous aura asséné une succession de droites, gauches, crochets comme un tribute à Mayweather, même si j’imagine que les Anglais soient plus proche de Conor McGregor. Le groupe aura tout défoncé tête baissée, corps nu et décharné avec la hargne d’un Rottweiler portant viscéralement haut les couleurs d’un post punk rageur. C’est excellent sur disque, c’est la même chose sur scène. Joe Talbot, le chanteur est le parfait mélange entre un bidibule et Jason Williamson, la voix du duo anglais Sleaford Mods. Il n’y a pas de hasard si tout le monde compare les deux groupes.
"Ça fucking va ?" hurle-t-il continuellement entre chaque chanson, mais oui putain ! Idles, c’est le genre de groupe a donner envie de jeter son verre de bière à la gueule du premier tocard venu (le type promenant une Dora en ballon, le sosie du violoneux michel et son pote au mulet, le couple qui s’échange leurs lunettes de soleil et font des selfies…) et de se bastonner, même quand on n’a pas le physique. Brutalism… Le concert le plus intense du festival, à défaut d’avoir vue les Thee Oh Sees faute à de vieux aprioris foncièrement idiots (leur dernière prestation malouine ressemblant plus à une moussaka sonore qu’à un concert) ?
Mac DeMarco quitte la scène avec un sourire béat. Les blagues les plus courtes sont les meilleures et là, cela commençait sérieusement à traîner en longueur. Nous sommes certains du côté humainement attachant du chanteur mais musicalement… La foule se disperse. Pas tant que cela, c’est bientôt l’heure d’Interpol. Le groupe New-Yorkais atteindra-t-il les sommets tutoyés par The Jesus & Mary Chain la veille ?
Samedi, 19h45
Etre prêt pour 3 concerts d’affilés. Une suite aux airs délectables : Arab Strap, Temples et The Jesus and Mary Chain. Rien de moins.
18h45. On est plutôt admiratif des batteurs / chanteurs quand ils arrivent à tenir la baraque même quand ils ont besoin d’avoir une feuille avec les paroles des chansons. L’esprit divague… Est-ce plus simple d’apprendre par cœur des riffs de batterie que des paroles ? En même temps, il n’y a rien de bien transcendant dans leur rythmique. Tout cela n’a rien de passionnant tout comme la musique des Cold Pumas. On baillera cependant moins que pour Froth. Signe d’une bonne journée ?
19h15. On fait le choix de manger (et boire…) et d’être bien placé pour Arab Strap en regardant de loin Parquet Courts. Cela peut peut-être paraître ahurissant mais oui, à un moment donné, il faut faire des choix. Oh ce n’est pas la peur de devoir affronter de longues files d’attente (il n’y en a pas en plus), non juste une certaine façon de s’organiser. Bref, le concert de Parquet Courts même de loin était très bien. Plus ça va, plus le groupe prend de la bouteille. Plus le groupe se calme relativement et plus sa musique devient clairement intelligible. La filiation avec Pavement devient comme une évidence. En plus ce sont de véritables bêtes de scènes, ce qui ne gâche rien. Chapeau bas aux Américains.
Arab Strap donc. Arab Strap, quoi ! Dans les premiers rangs comme un gamin et m’est avis que nous étions nombreux, nous quarantenaires à retrouver notre verte jeunesse. Sentiment qui se prolongera forcément pendant le concert de The Jesus And Mary Chain. Que ces deux groupes existent encore et soient là ce soir est clairement un petit miracle. Si l’on rajoute qu’ils ont peut-être donné les meilleurs concerts du festival…
Après un départ pas folichon folichon, le concert se densifie crescendo. Bon, la musique des écossais est-elle soluble sur scène ? Je vous laisse le choix de la réponse mais nous ne bouderons absolument pas notre plaisir et les morceaux prennent une envergure, une ampleur différente en concert. Cette musique entre rock, electronica et post-folk et caractérisée par le sens de l'humour sombre de Moffat exprimé par des paroles traitant souvent d’ivresse avec une vision impitoyable sur la fragilité du désir sexuel, fonctionne toujours aussi bien. Malcolm Middleton et Aidan Moffat qui n’a rien perdu de sa verve, de son charisme et de son alcoolisme semblent simplement heureux d’être là. C’est bien, nous partageons totalement ce sentiment.
Quarantenaire versus vingtenaire. Il suffit de passer d’une scène à l’autre pour que le contraste soit saisissant. Autre temps autre mœurs, Temples attire nettement plus la foule qu’Arab Strap. Pas le même public, non plus. Moins d’attention dans l’écoute, c’est une évidence. Pourtant, le groupe mérite mieux qu’un simple public de fêtards beuglant "Les lacs du Connemara". Alors bien sûr, un festival est un lieux festif propice autant à la déconne qu’à la découverte. Il y a des limites. Peut-être, est-ce une question de respect pour les musiciens et les autres auditeurs. Surtout que Temples offre une prestation nettement plus intéressante qu’il y a 3 ans au même endroit. Moins hautains (quoi que…) mais surtout moins l’air de s’en moquer complètement, les Anglais sont nettement plus séduisants. Et comme leur dernier disque est un sommet de pop teintées 60’s.
22h45. Je retiens comme de nombreuses personnes mon souffle. Il y a une intensité. Une attente. The Jesus and Mary Chain quand même… Tous les chats sont gris… frissons.
00h05. Le public se sépare. Grand est le nombre de personnes avec le sourire aux lèvres. Alors oui, les Ecossais ont donné un très bon concert (et s’ils donnaient la meilleure série de concerts de leur carrière ?), même si le choix des morceaux aurait pu laisser perplexe et un son parfois trop colossal brouillait notre perception des chansons. Mais quel bonheur de trouver un groupe qui n’aura jamais paru aussi jeune, aussi rentre-dedans, aussi solide et acéré ! Alors oui, nous ne sommes plus en 1985 et peut-être que je ne suis pas vraiment impartial mais voir The Jesus and Mary Chain avec un tel niveau musical me paraissait insensé. Plus d’une heure de priapisme musical. Tant pis pour les autres je veux garder cette musique, ce moment intact dans mes oreilles, au moins jusque demain.
Lumières rouges et noires. Interpol déroule un set sobre mais diablement efficace. On aime ou pas le groupe mais les New-Yorkais donnent un concert avec une ferveur dont on ne les soupçonnait plus capable. Il faut dire qu’entre eux et la Route du Rock, il y a une histoire. En 2001, ils se produisaient ici même. Inconnus, ils avaient bouleversés le public présent ce soir-là. Quelques mois plus tard, ils sortaient Turn On The Bright Lights. Il y a quinze ans jour pour jour. Et le groupe est ici ce soir pour le fêter et le jouer dans son intégralité.
Ceux qui détestent attendent patiemment The Moonlandingz mais surtout Ty Segall, les autres exultent. C’est assez classe, ça ne déborde pas mais la musique ne s’y prête pas vraiment non plus. Ce qui est évident, c’est le sentiment de puissance qui se dégage du groupe. Evidence aussi : les titres de Turn On The Bright Lights ne vieillissent pas si mal que cela. En tout cas, il semblerait qu’Interpol y ait mis plus de cœur que pour d’autres concerts. Nous le savourerons alors à sa juste valeur.
Vous connaissez le point commun entre Moonlandingz et Ty Segall ? Deux concerts carrés mais d’un ennui mortel. Dommage nous imaginions Moonlandingz, à cause de ses musiciens (Lias Saoudi de The Fat White Family et des membres de The Eccentric Research Council) nettement plus subversif. Très bon sur disque mais là, cela fait plouf.
En parlant de plouf, Angel Olsen aura plus marqué le public pour son attitude et sa féminité que pour sa musique et Yak aura fait un excellent concert de loin dans le dos. Alors non le dimanche n’est pas raté. Il y avait The Proper Ornaments… des mecs super gentils, heureux d’être là et de jouer. C’est simple. Et c’est vraiment, mais vraiment bien. Une très belle leçon de pop Byrdsienne aux réminiscences très Velvet Underground avec le choix de l’énergie, en jouant plutôt des titres des EPs et du premier album Wooden Head plus directs que ceux du plus récent Foxhole. Gageons que le prochain qui arrive bientôt sera un mariage des deux. Quant à louer les qualités d’un compositeur, c’est vers James Hoare que vont mes pensées… juste parfait !
Dimanche 01h00. Il est temps de partir… la lune éclaire le petit chemin, un mec pisse contre un arbre en sifflotant alors qu’à côté de lui, deux jeunes filles s’embrassent amoureusement. 40 ans, est-ce encore un âge pour s’avaler autant de concerts, pour la vie en festival ? C’est pourtant léger que nous retournons à la voiture, l’esprit gorgé de musique et la conviction que malgré tout la Route du Rock est l’un des festivals les plus intéressants en France. Et puis, et puis, le cœur plein d’amour pour les cinq garçons rencontrés à l’occasion de ce festival. "Sounds of laughter shades of life are ringing, Through my open ears inciting and inviting me, Limitless undying love which shines around me like a million suns And calls me on and on across the universe".
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