A la lecture du titre "Miss Wyoming" et de la quatrième de couverture, l'affaire semble dans le sac et l'intrigue "spoilée" dès lors qu'est annoncée "une comédie hollywoodienne par le pape de la parodie sociale".
Soit une comédie romantique entre une ex mini-miss reconvertie en actrice de sitcom et un richissime producteur de films d'actions respectivement rescapés d'un crash aérien et d'une infection grippale.
Mais bien évidemment c'est méconnaître ce diable d'écrivain qu'est Donald Coupland et, non, il ne s'agit pas d'une romance décryptée avec son humour ironique mais de tout ce qui précède la concrétisation d'une "love affair" qui devrait se jouer de l'épreuve du temps dès lors qu'elle réunit deux individus ayant connu "une expérience intense et flippante", en l'occurrence un ruptus psychique lié à une expérience de mort imminente.
Miss Wyoming : Les "life stories" couplandiennes
Publié en 1999, entre "Generation X" qui consacre l'entrée en littérature de l'auteur, et "Toutes les familles sont psychotiques" qu'il annonce, l'opus relate, à grands renforts de flash backs dépourvus de linéarité chronologique même à rebours qui se télescopent, ce qui maintient un évident suspens tant le lecteur se demande quel dénouement ils annoncent, la biographie des deux principaux protagonistes, déclinaisons d'une même enfance atypique en dehors de la réalité de la vraie vie qui les a fixé dans un état d'immaturité, et d'un même cursus, celui de la réussite précoce suivi du déclin.
Issue de la "middle-class" de l'Amérique profonde, Susan Colgate, une ancienne mini-miss totalement instrumentalisée par une mère qui n'hésite à user de maltraitance psychologique voire physique par le recours aux prothèses et à la chirurgie esthétique pour satisfaire non seulement aux diktats de la beauté et de la compétition à tout prix mais également en utilisant sa fille comme substitut de réalisation de soi, est devenue "une actrice de troisième zone qui joue comme une patate" jusqu'au jour où elle opte délibérément pour une disparition volontaire pour devenir libre et maître de son destin.
Après une enfance choyée mais quasiment recluse en raison d'un état de santé fragile, John Johnson, né dans une famille de "l'upper class", est devenu un richissime producteur hollywoodien avec tout ce que cela implique de dérives en tous genres jusqu'au jour où il est victime d'un burn-out qui se solde par un voyage "en clochardie" en quête des vraies valeurs.
Officiant comme narrateur extra diégétique relativement bienveillant tout en dézinguant "l'american way of life", sa culture de parc d'attractions et son indécrottable infantilisme, Donald Coupland s'essaie, avec brio, au roman d'apprentissage hybridé avec le mythe beatien de la route ordonnés autour de deux tropismes existentialistes : celui de "la vie est une fiction", avatar de "la vie est un songe" de l'époque baroque et celui du libre-arbitre comme instrument de mise en échec du déterminisme inhérent à la naissance et à un vécu imposé.
Et Donald Coupland bâtit son illustration, voire sa démonstration, par une mise en abime et la prévalence du premier car ses deux "héros-hérauts" intègrent une autre fiction alors qu'ils pensent, comme l'énonce le dramaturge anglais Martin Crimp dans son opus "La République du bonheur", au titre des cinq libertés essentielles à l'individu, écrire le scénario de leur propre vie.
Brillant et passionnant. |