Romancier passionné d’humanité, Pierre Bordage est connu pour ses univers fantasy et ses personnages sages et spirituels combattant les big boss des arcanes putrides. Il prend le pari d’ancrer son nouveau roman dans la dure réalité des casinos. A mon tour de ponctuer la nouvelle d’un "tiens, il sort de sa zone de confort" connaisseur.
Certes, le thème est différent, mais le style est le même. On ne change pas une plume. Ni un talent. Les nombreuses distinctions et prix reçus montrent que Monsieur Bordage n’est pas un amateur dans l’écriture. Imaginaire ou non. Tout sur le zéro a le casino et ses angoisses pour décor.
Le roman est une toile complexe, tissée des rêves et déceptions de personnages se croisant et se décroisant au fil des pages. Paul, Blaise, Eloïse, Charlène, Martine, Grégoire, Jacques… Ils sont joueur, compagne de joueur, propriétaire de casino, vieux loup de la roulette ou chanceux jeune premier. Chacun occupe une position caractéristique, déambulant dans les couloirs de ce casino de province.
Cristallisant les espoirs et les aspirations de chacun, le casino est au centre du roman, il est le personnage essentiel quasiment innomé, autour duquel les protagonistes font figure de marionnettes. En son cœur : les gains. Calculés, espérés, soustraits, multipliés, évaporés, brassés, les jetons sont une métaphore ironique aux zéros qu’ils veulent tous aligner à droite du chiffre le plus élevé.
Sauf que la réalité est toute autre. Puisque les zéros sont plus souvent à l’autre droite… la gauche du chiffre, faisant baisser dangereusement la valeur du nombre vers le nul. Voire en dessous. Et si le zéro portait bonheur ? Certains choisissent de miser Tout sur le zéro, histoire de l’aimer un peu plus à chaque victoire. Ou de l’exécrer à chaque défaite.
Le hasard. Ce diable est la moelle des casinos. L’objet du fantasme et de la perte de ses passagers. Et même si les études toutes sérieuses expliquent la situation par les bouillonnements hormonaux et les décharges d’adrénaline provoquées par un gain, on connait tous un tant soit peu cette palpitation de la "joie de recevoir". Et on développe tous un peu cette furieuse envie de la multiplier.
Chacun est différent face à la roulette, certains savent rester grandement prosaïques en se nourrissant d’anciennes victoires face aux défaites présentes. D’autres sont dévastés par les pertes. Y voyant l’acharnement d’un destin sensé s’évertuer à défenestrer les châteaux de cartes.
Portraits croisés de personnages ectoplasmiques, ombres d’eux-mêmes en quête d’identité, Tout sur le zéro est plus intelligent qu’une fable destinée à apparenter le plaisir du jeu à des mœurs pervers. Il décrit minutieusement l’âme possédée par l’irrépressible besoin de provoquer ce souffle essentiel à chaque vie : excitation et soulagement, attente et offrande.
Stress et souffrance humaine, le roman laisse un gout étrange au bord des lèvres, faisant ressurgir des besoins primates dans nos fragiles consciences transformées par la nécessité des possessions inutiles. |