Carine Fernandez
(Editions Les Escales) septembre 2017
Quand ce type de livre me tombe entre les mains (et que je stoppe sa chute évidemment), je me demande toujours comment les auteurs choisissent leurs sujets. Les plus énigmatiques me répondront forcément : "Mais c’est le sujet qui me choisit" et j’en serai pour mes frais de curiosité. Les autres invoqueront probablement le devoir de mémoire. Dans tous les cas, ne me faites pas croire l’exercice est anodin.
Carine Fernandez plonge dans les années noires de l’Espagne, celle du règne Franquiste et de ses sombres corridors. Un petit rafraichissement historique n’est pas à prévoir. En revanche, si votre connaissance du franquisme laisse à désirer, vous aurez envie d’en savoir plus. Pour comprendre un peu mieux Miguel, vieux loup solitaire.
Miguel vit seul avec Ramon, son chien. Il aime la tranquillité de sa solitude. Et alors que le lecteur est en droit de se demander ce qui motive cet homme à contempler ses routines quotidiennes, dans un immobilisme complet, il reçoit une lettre de sa sœur. Sœur qui lui annonce qu’elle compte venir vivre auprès de lui. Désormais veuve, elle a l’idée de mêler son existence privée de compagnie avec son vieux frangin.
Oui mais Miguel ne l’entend pas de cette oreille. Et au lieu de lui opposer un non ferme et définitif, ou même de la convaincre que l’idée n’est pas terrible pour leurs auras respectives, il prend ses cliques et ses claques et il quitte sa petite vie insipide et tranquille.
Le lecteur chemine avec ce vieillard attachant, et découvre au fil des pages ce qui le tourmente. Le passé. Ce foutu passé franquiste. Lui était un pauvre paysan sans sou ni influence. Son frère jumeau et lui se faisaient appeler Médianoche (minuit) et Médiodia (midi), ils vivaient d’insouciance et de canailleries dans leur village de Montepalomas.
Mais Franco avait furieusement besoin de contrôler absolument tout le pays, de la plus petite parcelle terrestre au plus infime neurone. La guerre civile fit rage en l’Espagne de ces années tristes. Les frères le payèrent de leur vie. L’un avec son sang, l’autre avec son âme. C’est tout ce qu’il reste de Miguel-Medianoche. Le visage assassiné de son frère le hante toutes les minutes de toutes les heures de sa vie que nous eûmes l’impertinence de qualifier d’insipide.
"On y a tous cru. Une fois le nazisme renversé, on se débarrasserait du franquisme dans la foulée. Après Paris et Berlin, il y aurait Madrid. Tu parles ! L’Espagne a été oubliée de tous, volontairement oubliée, on a laissé de Franquito bien tranquille de l’autre côté des Pyrénées et on s’est empressé de réécrire l’histoire. Il n’y en a eu que pour les Américains et les résistants français. A les entendre, toute la France était résistante. Sur les libérateurs espagnols, pas un mot ! On les a envoyés crever en Allemagne en traquant Hitler dans son nid d’aigle à Berchtegaden. Disparus, effacés, oubliés les drapeaux de la République espagnole flottant sur les Champs-Elysées le 26 août 44 !"
Coupables. Nous, glorieux égoïstes, les victimes franquistes furent jetées aux oubliettes de notre lassitude à poursuivre le combat. Voilà ce que révèle Carine Fernandez dans les tourments de Miguel. C’est un peuple, un pays entier qui a pansé encore ses plaies dans l’ombre des traumatismes que nous partageons.
Une lecture douloureuse, un poignant témoignage de la guerre civile espagnole, une quête de pardon, Mille ans après la guerre est un récit juste et sensible sur les ravages des conflits, sur les désillusions et les bassesses des hommes. Vous ne ressortirez pas indemne de ces pages.
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