Spectacle musical interprété par Emmanuelle Laborit accompagnée par le Delano Orchestra dans une mise en scène de Johanny Bert.
Tout militant de la "différence", on le sait, ne se bat pas pour rejoindre une impossible et introuvable "normalité", mais lutte pour qu'une fois avoir trouvé sa place dans la société, il ne suscite plus que son indifférence. En créant avec "Dévaste-moi", un spectacle musical chansigne, destiné autant aux sourds qu'aux entendants, aux locuteurs de la langue des signes autant qu'aux francophones, Emmanuelle Laborit, accompagnée de son groupe, The Delano Orchestra, poursuit le long chemin de la communauté des sourds pour être reconnue en tant que communauté à part entière. Elle a déjà gagné une grande partie du combat puisqu'à l'issue de son spectacle, personne n'osera encore utiliser, voire prononcer, le mot "handicapé" pour la désigner. Bien entendu, elle doit encore faire preuve de didactisme pour expliquer à une partie du public, pas encore habitué aux codes du chansigne, d'où elle vient, ce qu'elle veut dire et comment elle va l'exprimer. Mais cela ne fournit qu'une partie de "Dévaste-moi" qui doit être regardé avant tout comme un spectacle musical total. Emmanuelle Laborit, aidée pour la mise en scène par Johnany Bert et pour les chorégraphies par Yan Raballand, cherche - et trouve - les clés pour bousculer les frontières du chansigne, du théâtre et du music-hall. La synthèse qu'elle opère est réussie parce que le spectateur oubliera vite la forme pour ne voir que le fond : un spectacle où une femme clame haut et fort ce que la féminité veut dire. Les chansons qu'elle interprète sont un parcours ironiquement, mais fermement, féministe. De Carmen à Anne Sylvestre, de Brigitte Fontaine à Amy Winehouse, en passant par "Jolie môme" de Léo Ferré ou "Madame rêve" de Bashung, c'est à la fois un hymne aux femmes et une revendication fière et malicieuse de toutes ses incarnations. Souvent tout en noir, avec des hauts talons rouge couleur de ses lèvres carminées, Emmanuelle sait s'affranchir de ses propres codes pour devenir... Emmanuelle ou Beyoncé. "Dévaste-moi" est plein de surprises, à commencer par sa manière très subtile de jouer avec les "sous-titres", la voix-off et le chansigne. Pareillement, les gestes-mots se transforment en gestes-danse, démontrant combien la langue des signes peut communiquer avec le corps, ce que ne saura jamais faire la langue parlée. Emmanuelle Laborit ne rend pas simplement hommage aux grandes dames de la chanson. Elle porte en elle la même qualité d'émotions que ses modèles. Ainsi, son interprétation de "Non, tu n'as pas de nom" d'Anne Sylvestre, donnera le frisson, sa relecture de "Madame rêve" d'Alain Bashung aussi. "Dévaste-moi" est un spectacle originel qui marque une date : celle où Emmanuelle Laborit a donné au chansigne une vraie place dans la chanson française. Une place qui ne pourra que s'épanouir et convaincre tous les publics. |