Depuis quelques années, avec les révolutions arabes et la montée en puissance de groupes terroristes comme Daesh, les livres sur le sujet ont fleuri dans toutes les vitrines des librairies françaises. La plupart du temps consacré à l’islam politique, ces livres étaient plus ou moins intéressants en fonction de leurs auteurs.
Jean-Pierre Filiu, professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po Paris a déjà réalisé de nombreux travaux sur le monde arabo-musulman et il est l’auteur de plusieurs ouvrages publiés dans une quinzaine de langues. Avec son dernier ouvrage, Généraux, gangsters et jihadistes, publié aux éditions de la Découverte, il porte son étude sur les appareils de sécurité et de répression qui jouent un rôle important dans le monde arabe.
Le livre s’ouvre sur une introduction portant sur les révolutions et contre-révolutions qui ont touché le monde arabe en 2010 et 2011. Des régimes sont tombés, la Tunisie de Ben Ali, l’Egypte de Mobarak ensuite, les deux en quelques mois, le temps d’un "printemps arabe" qui annonçait ensuite un "automne islamiste" puis un "hiver intégriste". Filiu cherche alors à nous démontrer pourquoi la voie contre-révolutionnaire avait peu de chance de stabiliser le monde arabe.
Car pour lui, un appareil de contre-révolution s’est mis en place autour de généraux, de gangsters et de jihadistes qui ont œuvré de concert pour empêcher toute tentative de mise en place de démocratie. Il nous décrit alors ces structures de l’ombre (ce qu’il nomme l’Etat profond), qui ont pour origine la Turquie, il souligne leur poids économique montrant qu’elles sont appelées à proliférer.
Le livre est précis, s’appuie sur l’histoire, celle de l’Egypte, celle de l’Algérie aussi sur laquelle un long chapitre est consacré, celle de la Syrie, de la Libye ou encore du Yémen. Il nous raconte pour tous ces pays les successions de tentatives de putsch qui ont suivi leurs indépendances et la façon dont des cliques ont monopolisé le pouvoir en s’appuyant sur des gardes impitoyables et violentes à l’égard des populations. Il effectue alors un parallèle avec les mamelouks, des milices d’esclaves affranchis qui, au Moyen Âge, au service des souverains, ont exercé directement le pouvoir dans plusieurs pays. Aujourd’hui, les généraux, gangsters et jihadistes qui gouvernent sont pour lui les nouveaux Mamelouk ou les mamelouks de notre temps. Il va reprendre ce terme de mamelouk tout le long du livre. Une partie du livre aussi est consacrée aux relations ambigües qu’entretiennent certains états avec les mouvements jihadistes. Cet aspect a déjà était évoqué dans de nombreux livres notamment ceux qui affirment que des pays comme le Qatar ne sont pas très au clair avec les groupuscules terroristes.
Filiu nous explique aussi les leviers économiques de ces mamelouks, comment les mamelouks modernes partagent la même conception de la nation, de ses ressources et de sa capacité productive. Des dynamiques mafieuses sont présentes, il nous les explique. Il nous montre ensuite la place de la rente pétrolière dans ces Etats, un pétrole qui est tachée de sang et souvent détournée.
Un dernier chapitre est consacré à la Tunisie, à l’alternative tunisienne plus précisemment dans lequel Filiu nous explique que la transition tunisienne reste aujourd’hui une exception par rapport à ses voisins.
Généraux, gangsters et jihadistes est donc un livre érudit sur l’histoire de la contre-révolution arabe. Un livre dans lequel les analyses pertinentes de ce spécialiste qu’est Jean-Pierre Filiu nous font comprendre l’hydre à trois têtes que composent les généraux, les gangsters et les jihadistes et leurs conséquences sur l’impasse démocratique présente dans les pays arabes. |