Hari Kunzru est loin d’être un inconnu dans la littérature contemporaine. Déjà auteur de plusieurs romans, il s’est fait connaître avec son roman L’illusionniste qui a obtenu le prix Somerset Maugham. Avec Larmes blanches, son dernier roman édité par JC Lattès, c’est vers les origines du rock’n’roll et du blues qu’il nous emmène.
Larmes blanches est un livre qui tourne au tour de deux personnages qui n’ont pour unique point commun leur passion pour la musique et les sons. Seth est un spécialiste des sons. Il passe son temps à les bidouiller, à en enregistrer au gré de ses promenades dans les différents endroits qu’il visite. Il enregistre tout, les bruits de la ville, les bruits de la nature, des chanteurs ou des musiciens qu’il croise dans la rue. Il dispose d’une gigantesque base de données de sons. Les sons, c’est sa vie. Quasi autiste, il est pauvre, sans véritable famille, introverti, discret et peu à l’aise en société.
Carter, lui, est l’opposé de Seth. C’est un garçon issu d’une famille riche, affable et excentrique, il n’a aucun mal à trouver sa place dans la société de consommation. C’est aussi un collectionneur dans l’âme, de disques de tous styles musicaux. Ses facilités financières lui permettent d’acheter chez des collectionneurs de nombreux disques parfois très rares et très chers.
Les deux, qui ont la musique en commun, ont fondé leur propre studio, financé essentiellement par Carter, studio qui commence à se faire une petite réputation auprès de musiciens qui souhaitent réaliser leur album.
La dernière lubie de Carter est le blues. Il en a terminé avec le reggae et souhaite compléter sa collection de bon vieux albums de blues des origines. Il inspecte les différents sites de collectionneurs puis décide de fabriquer ensuite avec Seth un disque de cette époque. La base de données immense de Seth pourrait peut-être déceler des sons pour fabriquer ce disque.
Les deux compères vont s’arrêter sur deux enregistrements faits par Seth dans deux endroits différents, l’un à Washington et l’autre à New York. A Washington, Seth a enregistré une voix, le temps d’une chanson entière, dans la rue, près d’un banc. A New-York, c’est un guitariste de blues, enregistré au hasard d’une rue que Seth a enregistré. En réunissant les deux bandes, une voix et une guitare, les deux compères arrivent à un mariage parfait. Ne reste plus qu’une vieille pochette d’époque, un nom d’artiste, ce sera Charlie Shaw, un titre de disque, Graveyards Blues, et le tour est joué. Carter met alors le disque en ligne le faisant passer pour un disque d’époque.
Ce qui devait au départ être juste un délire musical entre deux potes va bientôt prendre des proportions démesurées. Des collectionneurs s’intéressent rapidement à leur disque et tout va être chamboulé pour les deux amis. Le roman aussi va prendre une autre tournure.
Le livre (même s’il met un peu de temps à véritablement démarrer) s’ouvrant sur la rencontre du chanteur à Washington, continuant sur une présentation des deux personnages et de leur famille, est passionnant. Il va véritablement démarrer avec l’avènement de Charlie Shaw sur internet et prendre alors comme thème principal celui de l’appropriation culturelle et du pillage de la culture noire par les blancs.
Hari Kunzru nous livre donc un très grand livre, au sujet et à la construction audacieuse. Sa satire magistrale, où les époques se croisent, projette par le prisme du blues un éclairage saisissant sur la conscience raciale américaine.
Grand auteur, grand livre. Bravo Monsieur Kunzru. |