Comédie d'après un recueil Jacques Sternberg, mise en scène de Guy Uzan et Yvan Lambert, avec Diane Delmont, Frédérique Lelaure et Yvan Lambert.
Jacques Sternberg, auteur belge francophone aux multiples casquettes dont celle de co-fondateur du fameux mouvement Panique, s'est livré, entre autres graphomanies scripturales, à un exercice oulipien qui ressort tant des "Exercices de style" de Raymond Queneau que des "Variations Golberg" de Bach et de "la tirade des nez" du "Cyrano de Bergerac" de Edmond Rostand.
En naquirent "Les Variations Sternberg pour clavier de machine à écrire sur deux thèmes de lettres commerciales" dans lesquelles ont puisé Guy Uzan et Yvan Lambert pour composer une inénarrable partition qui fera les délices des spectacteurs férus d'absurde, de nihilisme existentiel à la Cioran, de tragi-comédie et de caricature de ronds-de-cuir.
Leur transposition scénique s'avère d'autant plus judicieuse qu'elle est composée pour trois personnages - donc trois caractères - ce qui met en évidence, par leur oralisation, que chacune des déclinaisons ne constitue pas qu'une simple déclinaison formelle sur un mode humoristique et/ou farfelu mais transcrit un rapport au monde.
De plus, elle est instillée de fulgurances métaphysiques résultant de l'instillation de quelques textes brefs du même auteur qui se qualifiait de joyeux neurasthénique ou d'amusant pessimiste, dont un de la série de ses "Contes glacés" sur "Le Rien"*, retenu comme prologue, et qui annonce la couleur : la scène ne représente rien. L'action ne se passe nulle part. D'ailleurs il n'y a pas d'action...*
Ce qui plonge le trio, alors même qu'il évolue dans un lieu résolument ancré dans un naturalisme spatio-temporel, celui d'un bureau "open space" à la mode vintage des années 1950 quand il y avait encore des plumes sergent major, des téléphones en bakélite et des machines à écrire mécaniques, dans une quatrième dimension, celle d'un univers beckettien d'autant plus angoissant que dépourvu de Godot.
Alors que faire sinon de tenter de tuer le temps qui tue, cet ennemi le plus sournois de l'homme dixit Jacques Sterneg, en tentant de faire diversion.
Enfin, et cerise sur le gâteau, elle s'avère roborative en ce qu'elle soumet à l'épreuve des variations sur le motif la verve théâtrale de comédiens épatants qui incarnent Monsieur Alain (Yvan Lambert), vieux garçon libidineux avec manchettes de lustrine, Madame Madeleine (Diane Delmont), une brune qui ne compte pas pour des prunes, et Madame Jacqueline (Frédérique Lelaure), archétype de la jolie godiche à choucroute platinée.
Et ce sont plus d'une vingtaine de missives qui sont ainsi délivrées à la sagacité et à la méditation du public par des interprètes émérites jouant à fond la carte de l'humour noir pince-sans-rire qui caractérise l'esprit sternbergien auquel ils rendent un bel hommage. |