Après avoir lu l’excellent dernier livre de Régis Le Sommier, Assad, qui nous proposait un portrait sans concession du dictateur syrien, me voilà maintenant en compagnie d’une autre journaliste, Hélène Sallon, qui travaille au Monde. Arabisante, elle a couvert entre mi-octobre 2016 et mi-juillet 2017, la bataille de Mossoul, en Irak, et a passé plus de quatre mois sur le terrain à suivre l’offensive des forces irakiennes contre le groupe djihadiste et à enquêter sur son règne à Mossoul.
De cette expérience, Hélène Sallon en a tiré un livre dans lequel elle décrit l’Etat islamique de Mossoul, la capitale économique de Daesh qu’elle présente comme une entreprise totalitaire. En préambule, l’auteur nous propose deux cartes ; l’une sur l’Irak pour situer cette ville de Mossoul dans ce pays, l’autre est un plan précis de la ville de Mossoul pour mieux comprendre l’organisation de cette ville peuplée de musulmans sunnites et de chrétiens.
En prologue, comme tout bon journaliste, Hélène Sallon prend le soin de nous expliquer son enquête en annonçant ces sources. Elle nous explique que la libération de cette ville récemment a permis de lever un voile sur la réalité du projet politique et social de l’Etat islamique, rappelant son ampleur et ses objectifs. Parmi ses sources, se trouve un personnage important, son œil de Mossoul, Mossoul Eye, un habitant qui a donné de nombreuses informations sur la ville et ses bourreaux grâce aux réseaux sociaux. Il a cessé pendant quelques temps de donner des infos quand cela devenait trop dangereux pour lui, puis en transmis ensuite par SMS à un ami habitant à Bagdad qui les relayait sur les réseaux sociaux quand les membres de l’Etat Islamique se sont mis à contrôler l’internet dans la ville. Hélène Sallon s’est ensuite appuyée sur des témoignages inédits recueillis auprès des habitants de Mossoul.
On apprend comment les djihadistes ont séduit de nombreux habitants une fois la ville prise, à coup de propagande et d’aides sociales aux plus défavorisés. On voit ensuite comment ils ont rapidement imposé leur idées, parfois les plus grotesques. La chicha se retrouve interdite, les jeux de cartes aussi, on coupe la tête aux joueurs de baby-foot pour qu’ils ne ressemblent plus à des statues. Le port du Niqab devient obligatoire pour les femmes qui peu à peu désertent les rues. Les femmes ayant commis l’adultère se retrouvent lapidés. On voit la situation des chrétiens évoluée rapidement. Ils sont rackettés, kidnappés quand les églises se voient confisquées.
Rapidement la mainmise sur l’économie se fait. Mossoul était une ville riche, située à un carrefour de routes commerciales, à proximité de champs pétrolifères et d’exploitations agricoles. Un racket s’organise, un impôt officiel est mis en place. Très rapidement, l’Etat Islamique va se constituer un petit pactole. Mossoul va devenir la capitale économique de l’Etat islamique quand Raqqa était sa capitale politique.
Très vite, la vie des habitants se retrouve sous contrôle de ces fous de Dieu. Les femmes n’ont plus aucun droit. Un projet universitaire est mis en place. Des disciplines sont imposées quand d’autres sont supprimées. La géographie se retrouve interdite car elle ne reconnaît pas les terres d’Islam et les terres de mécréants ! La violence et la terreur sont partout. On coupe les mains des voleurs, on défenestre les homosexuels.
La mainmise se fait aussi sur le secteur de la santé avec le contrôle de l’hôpital qui voit ses effectifs diminuer avec les nombreuses fuites du personnel à l’arrivée des djihadistes. Un ordre social, enfin, se met en place, le drapeau noir flotte dans toute la ville, une administration se développe. L’Etat islamique terrorise la population, particulièrement sa jeunesse qu’elle souhaite en même temps former à la guerre. L’école doit devenir le pivot du projet de recrutement et d’endoctrinement de l’Etat Islamique. La culture, elle est détruite, laissant le patrimoine historique de la région complètement détruit.
Un chapitre est consacré à la situation particulière des Yézidis qui ont connu l’enfer sous l’Etat Islamique du fait de leurs croyances ésotériques. Beaucoup de femmes Yézidis sont devenues des esclaves sexuelles.
L’Etat islamique de Mossoul est donc une brillante enquête sur une ville où la vie et la mort cohabitent. C’est aussi une enquête sur une organisation totalitaire effrayante qui aura duré trois ans mais qui aura des répercussions sur plusieurs générations de Mossouliotes. Mossoul est devenu un champ de ruine composé d’une population traumatisée constituée de gens qui ont suivi les djihadistes et d’autres qui les combattus. La réconciliation des populations sera longue et compliquée.
Pour Mossoul aujourd’hui, la tâche est immense. |