Seul en scène librement inspiré de la vie et de l'art de Lady Day conçu et interprété par Naïsiwon el Aniou.
Le côté ensoleillé, elle aurait bien aimé que ce fut sa voix, Billy... Mais là comme ailleurs, constamment, tout le temps, on lui rappelait qu'elle était à jamais dans l'ombre de sa peau sombre.
Que, si elle pouvait chanter impeccablement, elle n'en était pas moins dans le désordre d'une vie pour qui 44 ans cela valait un siècle, une éternité. Qu'il lui fallait rendre des comptes à chaque instant parce que tutoyer les cîmes avec son trémolo plein de malheurs cela avait un prix très fort, celui du sang, des larmes, des coups, des veines mal piquées.
Naïsiwon El Aniou ne s'est pas emparée de Billie Holiday, elle a fait de sa fragilité un rempart, une citadelle assiégée, une raison de vivre pour convaincre qu'elle était la chanteuse de la Nouvelle Orléans, un point c'est tout.
Avec une chaise où s'empilent en vrac des fleurs blanches et un saxophone représentant Lester Young, l'unique Président américain au souffle démocratique, des montagnes de hardes qui se transforment en atours de princesse, elle titube dans un autre foutoir : sa tête aux souvenirs qui se précipitent hors d'elle. Pas de chronologie logique, pas de chant mais des pas de danse et des chansons toutes inoubliables qui se succèdent et que Naïsiwon El Aniou traduit systématiquement.
Ce n'est pas misérabiliste non plus. Ce n'est pas du genre biopic crapoteux. Ici, le petit soldat est fier comme un taureau qui combat avec des banderilles partout dans la chair. Un taureau qui n'a pas ses cornes dans sa poche et qui embroche tous les médiocres qui croisent sa route furieuse.
Sans trop le montrer et en faire un système, Naïsiwon El Aniou se met en danger. Même si elle a joué et rejoué sa "Lady Day", elle n'a pas choisi la facilité sur cette scène bordélique. Chaque représentation est donc unique et sujette à des hauts et des bas.
C'est généralement Austerlitz (comme le vrai nom de Fred Astaire), mais cela peut-être parfois Waterloo ou la Bérézina. Au moindre aléa, elle peut tomber, vaciller, se vautrer alors que l'odeur des haricots qu'elle cuit prend place dans les narines de ses aficionados.
Rarement on n'aura vu quelqu'un se débattre dans ses contradictions avec un tel aplomb. Que ceux qui viendront la voir se préparent pour vivre un moment inoui de leur carrière de spectateurs.
Ils n'auront pas forcément la chair de poule ou la larme au coin de l'oeil, mais ce qui les attend c'est une actrice en train de chercher à sortir de son personnage toute l'humanité qui s'y trouvait. Une gageure périlleuse, une réussite à la mesure de son pari insensé. |