Comédie de Marivaux, mise en scène de Raymond Acquaviva, avec Philippine Bataille, Marie Jocteur, Marion Le Moign, Wilhem Frenee, Florent Hill, Louis Lebarazer et Etienne Piétri. Dans "La Double Inconstance", Sylvia et Arlequin sont des "pays" qui s'aiment. Mais ils ne se marieront pas, ou du moins pas ensemble, car Marivaux, le pourfendeur de l'amour qui ne croît pas aux contes de fées, s'arc-boutant sur la versatilité des sentiments, leur a fait miroiter les attraits du grand monde et de la vie de château.
Après l'enlèvement de Sylvia par un prince amoureux, tous deux sont retenus dans son château, et ils épouseront respectivement ledit prince et sa "femme de main" qui auront savamment miser tant sur leur vanité que sur le bon sens et l'opportunisme pécuniaire attachés à la gente paysanne pour "soutirer" leur consentement.
Mais Marivaux pipe un peu les dés dans son postulat de départ. Ainsi, pour Sylvia, flattée par ce choix royal, Arlequin n'est qu'un "amour" par défaut, son voisin et garçon le plus passable du canton qu'elle a aimé faute de mieux et fait sienne l'expression triviale "un clou chasse l'autre". Quant à Arlequin, la promesse d'un titre nobiliaire titille son orgueil et il évoque avec pragmatisme l'éventualité de la perte de Sylvia.
Raymond Acquiviva met en scène de manière enlevée et efficace cette comédie, ainsi que qualifiée par son auteur, dans un registre résolument comique, ce qui n'ôte rien à la beauté et à la subtilité de la langue marivaudienne, en opérant toutefois une surprenante translation spatio-temporelle puisque l'intrigue ne se déroule plus dans les salles lambrissées d'une demeure néo-classique du Siècle des Lumières sous obédience libertine comme souvent associée mais recontextualisée dans un palais oriental contemporain.
Ce qui peut s'appréhender comme une simple occurrence décorative en résonance avec la vogue des turqueries sévissant au 18ème siècle et le pittoresque du conte des mille et une nuits avec l'argument fabuleux du prince qui épouse une bergère.
Mais Raymond Acquaviva connaît bien ses classiques et s'avère, sous une parodie de harem à la Iznogoud et les femmes, fin stratège en proposant plusieurs strates en millefeuille laissés à l'entendement et à l'appréciation du spectateur en substituant, dans la dimension socio-politique de l'opus, le choc des cultures au système des ordres de l'Ancien Régime.
Car l'enlèvement et la séquestration de Sylvia fait référence à des pratiques ancestrales - le mariage forcé, le droit de cuissage, la polygamie - qui perdurent dans certains bastions civilisationnels.
Louis Le Barazer, à l'angélique physique de jeune premier, ne revêt pas le costume traditionnel des émirs mais une tenue à l'occidentale, celle d'un capitaine de croisière qui évoque un prince charmant pour magazine people, lance une opération quasi militaire tous azimuts pour circonvenir les tourtereaux dans la servitude volontaire.
La voie diplomatique avec le huissier portant chéchia (Wilhem Frenee vibrionnant à souhait), l'apitoiement avec un seigneur maltraité (Etienne Piétri), l'attaque séduction au premier degré d'une femme du gynécée (Philippine Bataille) qui joue la reine du disco plus clinquante qu'une boule à facettes et surtout son sbire d'élite en tchador chic, la sœur de cette dernière (Marion Le Moign magistrale).
Celle-ci connaît les atouts du beau sexe comme ses faiblesses ainsi que ceux du sexe "fort" pour attaquer sur les deux fronts avec la même arme de l'amitié confidente à l'encontre de Sylvia (Marie Jocteur à la fraîcheur impétueuse) et d'Arlequin (Florent Hill à la belle nature comique).
Avec la satire sous le rire, Raymond Acquaviva présente une roborative proposition interprétée par de jeunes comédiens issus des Cours Acquaviva-Ateliers du Sudden et ayant intégré sa compagnie. |