Réalisé par Guillaume Drac. France. Documentaire. 1h37 (Sortie le 4 juillet 2018).
Voilà un film qui ne s'est pas trompé de période pour sortir... "L'Ile au trésor" de Guillaume Brac est à savourer en été, précisément un jour où l'on est si paresseux que l'on préfère retrouver la magie de l'île de loisirs de Cergy-Pontoise sur un écran que de s'y rendre.
Film bienveillant qui sait s'attacher aux personnes qu'il a choisies, les faire parler naturellement sans que l'on sache si tout est vraiment de la pure captation ou s'il y a reconstitution, "L'Ile au trésor" est la deuxième intrusion de son auteur du côté du documentaire, après un moyen métrage de 2016, "Le Repos des braves".
Jusqu'à maintenant, Guillaume Brac était surtout connu pour ses fictions post-rohmériennes, qui lui ont d'ailleurs valu, il y a quelques semaines, les honneurs du Prix Jean Vigo, catégorie court-métrage de fiction.
En passant au documentaire, Brac n'a rien perdu de son goût des personnages. Des poulbots modernes (d'Argenteuil), tentant de resquiller pour rejoindre la plage payante, aux familles venues des quatre coins du monde pour pique-niquer, il sait les mettre tous en valeur.
Et puis, surtout, il réussit à montrer une France bigarrée et populaire, sans que cela passe par l'évocation de tous les problèmes de société dont on est abreuvé par les médias.
Sous l'oeil de vigiles qui sont encore bonasses et sans taisers, s'activent des "délinquants" qui vont plonger là où c'est interdit, vont harceler gentiment des maîtres-nageuses blondes et des caissières qui prennent la carte bleue.
Ici, on prévient beaucoup mais on punit peu et ceux qui se fabriquent des souvenirs de campagne française, encore plus ou moins en état dans cette grande banlieue annexée à une "ville-nouvelle" des années 1960, pourront avoir la peau noire et jouer aux mousquetaires en grimpant un talus.
"L'Ile au trésor" de Guillaume Brac saisit parfaitement un parfum positif de la France d'aujourd'hui. Ses références, nombreuses, des "Hommes, le dimanche" de Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer à "L'amie de mon amie" d'Eric Rohmer, donnent à son film la capacité d'aborder la question des loisirs des "gens de peu", comme disait Pierre Sansot, sujet rarement traité et pourtant majeur.
Sans chercher vraiment à se différencier du reste du troupeau, ces gens trouvent là matière à s'occuper dans des activités qui leur ressemblent et qui leur fournissent de quoi échapper à la morosité que leur condition engendre.
Guillaume Brac prend plaisir à les filmer hors de leur travail et de leur cadre de vie. Il parvient ainsi à relativiser toutes les grandes phrases entendues sur des classes sociales dominées.
L'île aux loisirs de Cergy-Pontoise est une réponse apolitique et joyeuse à leur domination. Chacun y résiste à sa façon à l'uniformisation générale et y puise de quoi se fabriquer de beaux souvenirs.
En dédicaçant son film à "l'enfance éternelle", le cinéaste fait un pied de nez à tous ceux qui ne la mémorisent qu'avec la lecture du Petit Prince et l'étrillage du poney comme signes de distinction.
Monté sans fausse note, jamais ennuyeux, toujours décrivant des personnages qui méritent leur quart d'heure de célébrité wahrolienne, "L'Ile au Trésor" de Guillaume Brac est un documentaire simple et léger et malgré tout de facture assez complexe, puisqu'il est construit comme certaines œuvres de Frederick Wiseman.
Sans rien revendiquer, Il ramène le cinéma français vers un monde qu'il a trop souvent délaissé. Un film modeste et capital, donc.
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