Seul en scène écrit et interprété par Gilles Defacque accompagné par le musicien Bruno soulier dans une mise en scène de Eva Vallejo. Pas besoin d'un nez rouge pour être clown, même si Gilles Defacque le revêt un bref instant dans "On aura pas le temps de tout dire". Dans son théâtre lillois, Le Prato, son "théâtre international de quartier" comme il le surnomme, tout est dédié au clown, cet indéfinissable personnage mi-homme mi-acteur.
Pour Gilles Defacque, il l'a prouvé et le prouve encore dans ce spectacle, la condition de clown est une ascèse de la condition humaine. On ne se proclame pas clown, on le devient. Sous-titré "Portrait d'acteur #1", le spectacle qu'il propose résume une vie d'acteur-clown en 20 tableaux.
Attention, ce sont des "tableaux" vivants et non des "stations" mortifères. Car Gilles Defacque jamais ne souscrit à la mythologie du martyrologue clownien, ce poncif vu et revu, celui du "clown triste", qui fait rire mais qui est suicidaire.
Pour lui, le clown est du côté des vivants, est là pour les célébrer, les exprimer. Si tout n'est pas facile pour l'acteur, qui doit demander bien au-delà de son enfance un "petit billet" à sa maman, cette précarité ne cache pas une tristesse sans fin. S'il peut être désespéré, c'est parce que, comme disait Léo Ferré, le "désespoir est la forme supérieure de la critique". Car le vrai clown est un être moral qui ne revendique pas le rire à n'importe quel prix. Par essence, il est l'opposé de l'humoriste. Lui, l'Auguste, le Paillasse, il n'a pas la prétention de choisir un public de bon aloi, il cherche à faire rire tout le monde ... mais sans aucune démagogie dans son numéro.
Dans "On aura pas le temps de tout dire", les séquences ne s'enchaînent pas. Elles se heurtent ou se poussent. C'est un monde de dualités où le silence et le bavardage. la musique et les mots, les gestes et les expressions, les instruments de musique et les balais participent à cette parade intime, celle d'un homme qui se raconte, qui raconte le tumulte de son être artistique.
Bien sûr, au bout du compte, il y a de la maîtrise. Une maîtrise qu'il a la modestie de cacher en se proclamant "artisan". Pourtant, il va au-delà du "travail bien fait" de l'artisan et a le droit sans doute plus qu'un autre au titre d' "artiste", lui qui passe avec autant de générosité du concertina au violon.
Eternelle question, la dualité artisan-artiste, se résout en un mot : l'artiste ajoute au geste maîtrisé un petit plus... la poésie.
Et, effectivement, Gilles Defacque ne cesse de convoquer le poétique, à commencer par Baudelaire et Apollinaire, dans une version mémorable du "Pont Mirabeau". Et la musique de Bruno Soulier, dont la présence en chef de fanfare à ses côtés est nécessaire, ajoute aussi un grain de folie artistique à ce résumé savamment désordonné de sa vie d'acteur-clown qui, forcément, emprunte un moment un sentier beckettien.
Dans sa mise en scène, Eva Vallejo ne bride jamais les élans du personnage. Rien n'est orchestré pour être calibré. Elle joue sur "la profondeur de champ", entre une avant-scène vide et un arrière plan encombré de chaises et d'objets.
"On aura pas le temps de tout dire" est un spectacle où le vide est aussi inspiré que le plein. Il dit une vie bien remplie, celle d'une condition respectable et enviable, et loin d'être finie.
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