Réalisé par Eric Rohmer. France. Comédie dramatique. 1h50. (Sortie 1970) Avec Jean-Louis Trintignant, Françoise Fabian et Marie-Christine Barrault.
C’est en rentrant dans un café que Jean-Louis (Jean-Louis Trintignant) a croisé Vidal (Antoine Vitez). Par hasard. Quelles étaient les probabilités qu’ils se croisent ici, à Clermont ? s’amusent à calculer les deux amis d’enfance. C’est grâce à Vidal que Jean-Louis a rencontré Maud (Françoise Fabian).
Maud est médecin, issue d’un milieu bourgeois et anticlérical. Jean-Louis est ingénieur, catholique pratiquant (enfin, comme il le dit, qui s’efforce de l’être). Ni un cavaleur ni un saint. Vidal est amoureux de Maud, et pourtant, il laisse Jean-Louis seul avec elle.
Eric Rohmer n’est pas un cinéaste bavard. Dans son cinéma, les personnages discutent, ce qui est bien différent. Dans "Ma nuit chez Maud", ils parlent de tout, de manière intime, très vite, sans jamais tomber dans l’impudeur ou l’exhibitionnisme.
C’est un enchantement que d’écouter ces deux hommes et cette femme qui débattent de Pascal et de la religion, qui opposent leur point de vue sans jamais se départir de leur humour.
Le désir est bien présent aussi. Ces trois corps, rassemblés dans un espace étroit, entretiennent une étrange familiarité. Eric Rohmer joue merveilleusement du déplacement de ces acteurs dans un espace savamment construit, éclairé par le noir et blanc somptueux de Nestor Almendros, son chef-opérateur attitré.
Les duos se font et se défont. Isolé à la table, Jean-Louis est seul dans le cadre, tandis que les interrogations de Maud et Vidal fusent ; plus tard, ce sera Vidal qui sera isolé, exclu du cadre, tandis que Maud s’installe, non sans impertinence, face à Jean-Louis, les pieds délicatement avancés entre les siens.
Plus tard, ce sera sous les lourdes couvertures de fourrure, ou les parkas d’hiver que les corps se chercheront. Les baiser se donnent en plaisantant, tant est grand le miracle de cette intimité. Françoise Fabian est fascinante dans ce rôle de femme libre, rieuse, qui affirme son désir ou ses peines. Elle illumine le film de son intelligence, son beau visage grave et ouvert scrutant Jean-Louis.
L’enjeu du conte moral, puisque c’en est un, est la question du choix. Ne sommes-nous pas embarqués, selon les mots de Pascal, c’est-à-dire condamnés au choix ? Chaque choix nous engage dans une direction, irréversiblement. Il faudrait, alors, choisir en toute conscience (mais c’est-ce pas là aussi de l’orgueil ?)
Mais c’est également le hasard qui présente les possibles, et met en balance les éléments qui constitueront le choix. Le hasard de la rencontre avec Maud, la brune, et avec Françoise, la blonde, rencontrée à l’église un dimanche matin. Dans cette séquence, Rohmer alterne les plans sur les paroissiens, le curé qui officie et Françoise (Marie-Christine Barrault), repérée par Jean-Louis. Au fur et à mesure que l’action avance, la caméra filme la jeune femme en plans de plus en plus gros : le choix est déjà fait au moment même où commence le film.
Reste à savoir si notre héros se tiendra à ce choix, lui qui a déjà eu des aventures, et que Maud taquine en le traitant de "jésuite". Son catholicisme un brin singulier est en porte-à-faux avec le jansénisme de Pascal que le mathématicien condamne comme trop austère. Mais le choix est aussi du côté des femmes : Maud déclare ainsi aimer "les gens qui savent ce qu’ils veulent", renvoyant dans les cordes l’indécis Jean-Louis.
"Ma Nuit chez Maud" est aussi un film mathématique, puisqu’en permanence, ce sont la probabilité et le hasard qui sont interrogés. Et pourtant, rarement une pensée (celle de Pascal) n’aura été incarnée avec tant de fougue. Rien d’abstrait dans ce film où l’on parle beaucoup ; tout n’est, en fait, qu’action, décision, prise de risque. C’est-à-dire pari.
On cherche où est notre gain, le seul qui vaille : l’infini. Et puisque ce gain est inestimable, il faut parier. C’est également ce que fera l’une des plus belles héroïnes de Rohmer dans un autre conte, d’hiver cette fois. |