En attendant les reines de l'âge de pierre
D'ordinaire, le samedi est LA journée des Eurocks, celle qui épuise, celle lors de laquelle il faut faire des choix drastiques entre les groupes programmés, celle durant laquelle il faut vaincre la chaleur orageuse et le monde... Mais pour cette trentième, horreur : du rap, du rap partout, à tel point que j'en suis à compter les groupes à couvrir pour voir si le chiffre reste acceptable...
On manque clairement de stratégie, car ce sont les trois premiers groupes programmés qui auraient pu rééquilibrer notre vision de cette journée du samedi : Truckks a l'air de bien se défendre sur la Loggia, BCUC percussionne le tout sur la Plage et ce que l'on voit de Touts nous emballe complètement – un bon vieux punk rock produit par de bons petits irlandais surexcités...
Par "ouverture d'esprit", on tente IAMDDB – estampillée "R'n'B" – sur La Plage. Cette vaste blague déprime les entrailles des plus humanistes d'entre nous : la diva se fait attendre, le public est en délire alors que rien ne se passe sur la scène hormis un médiocre "warm up". Bref, on se sent musicalement has been et en décalage complet avec ce qu'il se passe et on tient vaillamment trois morceaux avant de mettre les voiles...
Plutôt que la lisse Juliette Armanet, on choisit – à juste titre, paraît-il – l'effrontée Caroline Rose : si la déco de la scène nous enchante déjà et laisse présager de belles envolées scéniques, on est immédiatement emballée par le regard foufou et le discours doux-amer de cette rouge silhouette qui joue les sportives allumées sur scène. Son rock est miroitant, tantôt punk, plutôt pop, toujours enthousiaste et festif, à l'image de ses musiciens déjantés, et on découvre ici – enfin ? – une musique travaillée et pensée, mais sans esprit de sérieux. Un live salvateur.
D'autant qu'on tombe (encore) musicalement des nues avec Superorganism : simplicité outrancière et infantile des textes, langueur souvent excessive des mélodies et voix traînante d'Orono Noguchi, petite chose adolescente projetée sur le devant de la scène sans qu'aucune conviction, ni envie, ni plaisir ne transparaissent de son set. Je me prends donc une deuxième claque générationnelle et musicale dans la figure en quelques heures seulement, littéralement refroidie par cette électro élevée au virtuel, à la culture geek et au réseau social... Et pendant ce temps-là, sur la grande scène, des dizaines d’inconscientes petites midinettes de quinze ans venues voir Damso, sont sorties de la foule par une sécurité débordée... L'heure est au grand n'importe quoi, donc.
C'est la folie d'At The Drive In, et de Cedric Bixler-Zavala en particulier, qui nous remet heureusement les idées en place. Délire complet de l'ancien leader des Mars Volta, qui simule une copulation avec les ampli, montre ses fesses à la caméra, lance son micro sans espoir certain de le rattraper. Mais on comprend vite, cependant, ce que ces excès dissimulent : il faut compenser les effets dévastateurs sur le public d'un guitariste amorphe, d'un soundcheck raté, de morceaux bâclés. Effet acoustique de la Greenroom sous chapiteau ou mauvais set, tout simplement ? En tous les cas, la déception des fans est ostensible...
Finalement, ce samedi ne fut qu'une longue attente fébrile des Queens of the Stone Age – et il est fort probable que mon regard critique sur cette journée soit sous-tendu par l'impatience nerveuse de les voir enfin, et pour la première fois, en live. L'angoisse s'apaise définitivement quand j'apprends, miracle de l'arbitraire, que je suis sur la liste des photographes autorisés à prendre QOTSA en photo. Dans la fosse, la manœuvre est simple : douze photographes sont relégués à droite de la scène, douze à gauche. Impossible de bouger le petit doigt – d'autant un bandeau rose nous indique la limite à ne pas dépasser.
Le point de vue est médiocre, mais lorsque Josh Homme entre sur scène, toutes les difficultés et les frustrations disparaissent. Faut-il faire la liste de tous les atouts de ce concert ? Citons-en deux : d'abord, une setlist de dingue (de l'entrée tonitruante avec "Song for the Deaf" à un brillant "No One Knows", sans oublier les incomparables "Burn the witch" et "Make it with Chu"), ensuite l'attitude de plus en plus décontractée de Josh Homme qui, plutôt que de jouer les mythes vivants et inatteignables, gratifie son public d'innombrables mots d'amour. Un concert en tous points exceptionnel que je ne suis pas prête d'oublier...
Nouvelle erreur tactique de ce samedi (mais après ce live de QOTSA, plus rien ne me semblait possible) : on s'affranchit des trois derniers groupes programmés qui, de source sûre, ont clairement remonté le niveau musical de ce samedi. On sait que les Viagra Boys ont tout retourné sur la Loggia, que Jungle était exceptionnellement psyché sur la mainstage, et que Therapie Taxi a endiablé la Plage...
Un samedi tout en contrastes, pour un final exaltant... |