"Je suis un lanceur d’alerte, je cherche des nouvelles fonctions, je fais risette". Nuage Fou est un concept avant d’être un album. Julien Brotel et Martin Debisschop sont les singuliers personnages de cette expression alternative nommée Art autoroutier. L’un est la plume et la voix de Nuage fou, l’autre en est le bassiste bricoleur.
Etrange alchimie que ces deux explorateurs acoustiques retranscrivent en un livre-disque numéroté, enrichi d’une trentaine d’illustrations de Rémi Pollio. La violence ordinaire sourde à travers les traits, la voix, les percussions. L’album est un passage inquiétant propice à l’émergement des angoisses quotidiennes, entre mercantilisme, mécanisation et manipulation, Nuage fou appuie là où les actualités menacent. Damned, nous sommes perdus.
Des cités, des mirages et des carcasses entassées au pied des montagnes, des visages sans trait, des figures s’estompent dans les ombres anonymes de tracts repliés. L’inspiration vient droit du bitume numérique des autoroutes virtuelles, de cet individualisme ciblé sur l’autosatisfaction immédiate, du carnage de la touche contemporaine. Basses apocalyptiques nous voilà.
Le cœur au bord des lèvres et la rage chevillée aux mots, l’aventure musicale porte les couleuvres avalées à bout de bras "j’parle en kung fu, j’me casse la bouche, j’augmente la réalité". Des phrases scandées plus que chantées, échappées comme des onomatopées, font sursauter l’auditeur inattentif et froncer les acharnés de la rime. Les textes sont propices à l’épluchage des significations, chaque mot en soulève d’autres, chaque phrase énonce un débat, chaque enchainement annonce un sujet.
Je ne saurai dire avec certitude ce que Art autoroutier a réveillé en moi, un frisson épidermique situé juste entre la sauvagerie d’un bœuf tartare et la brûlure d’un ferment végétal. Huit titres pour vingt minutes de cauchemar addictif, levant une urgence angoissée au creux des sangs, adrénaline reptilienne prompte à déguerpir d’un bond… mais qui reste pour se délecter du spectacle.
De ce sobriquet d’indien tout mignon émerge la puissance narcotique des cordes balancées au gré des percussions, dans une atmosphère minimaliste, laissant une espèce de rêverie permissive prendre la barre et naviguer à vue avec un goût de reviens-y. Nuage fou est le moignon qu’on astique en espérant que le membre fantôme repousse comme par enchantement.
# 14 avril 2024 : En avril, de la culture tu suivras le fil
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