Comédie de Emmanuel Gaury et Mathieu Rannou, mise en scène de Raphaëlle Cambray, avec Maxence Gaillard, Emmanuel Gaury, Guillaume d'Harcourt, Nicolas Poli et Mathieu Rannou. Avec "Et si on ne se mentait plus ?", le quintet formant la jeune Compagnie Les Inspirés ayant pour devise théâtrale "Ils jouent ce qu’ils écrivent et ils écrivent ce qu’ils jouent" propose une intelligente et divertissante première création qui se révèle un très réussi "trois-en-un".
En premier lieu une immersion dans le Paris de la Belle Epoque et le cercle des beaux esprits à l'humour aussi délié que caustique qui composent le groupe "Les Mousquetaires" créé en 1897 par Alphonse Allais, alias Alphi le roi du calembour et de la facétie, avec ses amis hommes de lettres - Jules Renard surnommé "Poil de Carotte", Alfred Capus, le "Prince de l'esprit", le "bonhomme" Tristan Bernard - et Lucien Guitry, comédien et séducteur invétéré aka "Divan le terrible", avec lesquels il fait régulièrement bonne chère en l'appartement de ce dernier sis Place Vendôme.
Ainsi, l'opus emprunte au biopic par l'utilisation tempérée d'éléments historiques et biographiques avec une astucieuse et cocasse approche psychologique des personnages sur le mode du jeu littéraire et de la déclinaison du portrait chinois hybridé avec une fantaisie fictionnelle.
Ensuite, une pièce sur la vie et le paysage théâtral à la mi-temps de la IIIème République égayée des "bons mots" puisés dans le foisonnant thésaurus des protagonistes de ce cénacle qui jouaient et déjouaient leur lucidité fataliste quant à la finitude humaine.
Enfin, et surtout, une plaisante variation sur la fraternité masculine - entre des figures dissemblables tant par leur tempérament et leurs opinions que par leur notoriété conjoncturelle - placée sous l'auspice de l'essai sur l'amitié de Michel de Montaigne et sa fameuse sentence "Parce que c'était lui ; parce que c'était moi" - qui va donc au-delà de "des relations familières nouées par quelque circonstance ou par utilité", atténue le conflit des egos et érige les petits mensonges entre amis en civilité affectueuse.
A l'écriture, Emmanuel Gaury et Mathieu Rannou ont élaboré une excellente partition en mettant amour, amitié, ambition, argent et anicroches au menu thématique et alliant humour, satire et émotion dans des scènes dispensées de toutes manières, de la choralité à l'intermède monologal en passant par d'épatants duos.
Dans un décor de Catherine Bluwal combinant harmonieusement trois espaces scéniques qui reprend l'iconographie de l'illustration du 19ème siècle, et en costumes d'époque confectionnés par Margot Déon et Leslie Pauger, un joyeux et tonique "club des cinq" officie sous la houlette expérimentée de Raphaëlle Cambray misant sur un rythme soutenu, qui n'est pas sans évoquer celui du théâtre de boulevard, et assure une remarquable fluidité dans l'enchaînement des scènes tout en canalisant l'impétuosité de sa petite troupe.
La distribution s'avère judicieuse et l'interprétation sans faille et homogène. Amis à la scène et à la ville, Emmanuel Gaury et Mathieu Rannou en étonnant Allais lunaire, Nicolas Poli, le psychorigide Alfred Capus, Maxence Gaillard, soucieux Jules Renard, et Guillaume d’Harcourt en Tristan Bernard gouailleur campent des mousquetaires qui font assurément mouche auprès du public. |