Spectacle marionnettique conçu et interprété par Ilka Schönbein accompagnée par Suska Kanzler et Alexandra Lupidi. Empruntant la sentence de la célèbre fable "La cigale et la fourmi" de La Fontaine, la marionnettiste allemande Ilka Schönbein entreprend, sous le titre "Eh bien, dansez maintenant", une série de variations sur l'instant inéluctable.
Homme et animal, tout être vivant est confronté à la fuite du temps et à celle de la vie et tente de retarder l'échéance fatale, car il y a un temps pour tout, par une danse de mort avec la faucheuse pour, comme elle l'indique, exister...encore une fois. encore un moment, encore une petite éternité".
Sous les lumières crépusculaires deAnja Schimanski, dans le noir du plateau vide, Ilka Schönbein est accompagnée par les musiciennes Alexandra Lupidi, également au chant, et Suska Kanzler dispensant une partition musicale hypnotique opérant dans un registre syncrétique de dub fusion, free jazz, new age et musiques traditionnelles, qui dessine un univers d'entre deux-mondes, dans lequel se matérialise la marionnette avec un corps au-delà du vivant.
Sur une petite plate forme circulaire tournante, Ilka Schönbein officie selon la technique du corps-castelet avec une dualité physique, un entre deux du corps vivant et de la marionnette avec ses "prothèses" marionnettiques, qui dégage une extrême tension dramatique. Son corps devient la matrice ou le prolongement de ses créatures, qui ne sont déjà plus que l'ombre d'elles-mêmes, sur lesquelles elle a, en l'occurrence, pouvoir de vie et de mort.
Endossant le rôle de la faucheuse, avec une voix douce et de manière perfide, car elle sait tenir les fils du destin entre ses doigts crochus, elle se laisse divertir par leur transe fantasmagorique à laquelle elle met un terme sans ménagement.
Le spectacle émérite et maîtrisé offre des moments troublants notamment avec les dernières heures de la vieille dont le visage émacié, tel celui de Blanche-Neige, présente une ossature qui évoque celui de l'officiante, un des tropismes de l'oeuvre de Ilka Schönbein qui utilise ce qu'elle nomme des "masque de corps" ou des prothèses portant l'empreinte de son propre corps déformé.
Autre tropisme, celui du personnage de conte. Ainsi a-t-elle déjà revisité les contes occidentaux retranscris par Charles Perrault ("Faim de Loup"), Hans Christian Andersen ("Queue de poissonne") et les Frères Grimm ("La Vieille et la bête").
En l'espèce, pour sa Blanche-Neige cadavérique qui semble sortie d'un film d'horreur, elle opère par hybridation du conte de Perrault avec le "Conte du genévrier" des Frères Grimm, qui a suscité un spectacle spécifique, pour composer une parabole moderne, celle de la fillette anorexique qui ne veut pas manger pour ne pas grandir afin de ne pas être "mangée" par son père incestueux et tuée par sa mère rivale.
Figure majeure de l'art marionnettique contemporain et artiste exceptionnelle, Ilka Schönbein réussit ce qu'elle prône - l’alliance de l’âme et du geste - pour toucher le coeur des hommes. |