Le Musée Bourdelle propose régulièrement de superbes et passionnantes expositions au didactisme éclairé autour de l'oeuvre du maître des lieux, le sculpteur Antoine Bourdelle.
Après la dernière en date dédiée à sa passion de l'Antique ("Bourdelle et l'Antique - Une passion moderne"), il invite le public à un parcours-découverte du sculpteur-pédagogue à travers le fil rouge du processus de création avec "Transmission/Transgression - Maîtres et élèves dans l'atelier".
Les commissaires - Claire Boisserolles, Stéphane Ferrand et Amélie Simier, respectivement responsable des archives, de la documentation et des bibliothèques, responsable du cabinet d’art graphique et des peintures et conservateur général du Musée Bourdelle - ont réalisé un superbe travail pour présenter, dans une scénographie claire de Alexis Patras, à travers une conséquente sélection d'oeuvres de sculptures, mais également de dessins et de photographies, la nature tant de l'enseignement que des relations entre le maître-enseignant et ses élèves.
Bourdelle, "meneur de rêves"* et "accoucheur d'âmes"**, passeur de mémoire et pédagogue inspiré
Sculpteur reconnu, Antoine Bourdelle se consacre également à la transmission du savoir et devient une figure majeure de l'enseignement en son temps même si, faute d'avoir été "consacré" par le Prix de Rome, il ne peut intégrer l'Ecole des Beaux-Arts.
Il enseigne donc dans le circuit privé, dans son atelier et dans ceux de l’Académie de la Grande Chaumière pendant vingt années, de 1909 à 1929 qui devient une institution à l'audience internationale.
Comme le synthétise le titre de la monstration, sa pédagogie personnelle et novatrice conjugue la transmission des techniques et du savoir-faire propres à la sculpture et le développement de l'esprit critique pour s'affranchir des règles académiques et ainsi, indique-t-il, oeuvrer pour l'art de demain.
Bourdelle ne croît ni à la science infuse ni à l'artiste "sui generis". L'artiste a toujours un, ou plusieurs, père(s) même si pour exister il doit s'en affranchir, tuer le père comme en psychanalyse. Ainsi Bourdelle rend hommage à ses pères et pairs qui l'ont formé en déclarant, élève du premier et praticien du second : "J'ai appris de Falguière, je procède de Rodin". Ainsi s'ouvre l'exposition qui montre comment de l'exécution de l'"Eve au rocher" destinée à la "Porte de l'Enfer" à celle du buste de Rodin, Bourdelle s'est dégagé de l'emprise rodinienne.
Cours pratiques et leçons théoriques nourrissent l'enseignement anticonformiste voire iconoclaste de Bourdelle ("Le seul système, c’est de n’en pas avoir"**) qui est prisé par de nombreux élèves tant français qu'étrangers fascinés par sa stature et son charisme qui transparaissent dans ses théories sur l'art et ses qualités d'écriture tel que résultant de ses cours**..
Le Musée et les commissaires ont entrepris un laborieux recensement identificatoire de cette "Internationale des élèves" qui se succédaient au rythme de 50 par année, et présentent les oeuvres d'une dizaine d'élèves étrangers qui ont persévéré, parfois de manière notoire, dans leur art tels, et entre autres, Léon Indenbaum, Otto Gutfreund, Vera Moukhina, Irena Codreano et Takashi Shimizu.
Parmi les élèves français, deux sculpteurs majeurs qui, si leur style présentent de grandes similitudes formelles, leur opinion sur l'enseignement bourdellien se situe radicalement aux antipodes, de l'ingratitude présomptueuse à la reconnaissance.
A savoir Alberto Giacometti ("La Femme de Venise V"), qui déclare que "L'enseignement de Bourdelle ne m'a pas apporté beaucoup", et Germaine Richer ("Le Griffu", "La feuille") qui indique "Tout ce que je sais c'est Bourdelle qui me l'a appris", et, à son tour, empruntera le chemin de la transmission.
Bourdelle prône la vertu du labeur incessant d'après modèle et ses élèves notamment féminines constituent également des modèles pour la création d'un répertoire de formes.
Tant pour les bustes avec des visages archétypaux tels celui hiératique de "La Roumaine" Fanny Moscovici, de la lumineuse Henriette Petit ("La Chilienne") et Madeleine Charnaux pour la "Tête au chignon yeux fermés" que pour les figures en pied.
Et parmi elles, la plus proche, l'élève grecque Cléopâtre. Elle devient son modèle favori, sa muse comme incarnation de la Sculpture ("Femme sculpteur au travail", "Femme sculpteur au repos") et son épouse dont est présenté un inédit, le "Beethoven à deux mains", une oeuvre de Rodin qu'elle a taillé mais restée inachevée, qui réalisera le rêve de Bourdelle de transformer sa maison-atelier en musée;
Par ailleurs, la statuaire est mise en résonance avec l'oeuvre graphique, tout aussi remarquable, de Bourdelle qui aussi enseigné le dessin à la Manufacture des Gobelins.
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