Projet de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini librement inspiré d'un film de Michelangelo Antiononi, avec Francesca Cuttica, Daria Deflorian, Monica Piseddu, Benno Steinegger et Antonio Tagliarini.
Les spectateurs qui ont découvert le duo Daria Deflorian-Antonio Tagliarini lors de l'édition 2014 des Chantiers d'Europe pour laquelle il présentait "Reality" et "Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni seront ravis de le retrouver avec la singulière proposition que constitue leur millésime 2018 intitulé "Quasi niente".
En effet, présentée comme un "projet librement inspiré du film "Le Désert rouge" de Michelangelo Antiononi" réalisé en 1964, elle n'en constitue pas une adaptation, même si certaines scènes et personnages sont évoqués sur scène et la déclinaison de quelques éléments scénographiques que seuls les spectateurs cinéphiles détecteront. Est retenue la thématique de la dépression, que Antonioni traite à travers le personnage central comme une inadaptation à la modernité du monde.
De surcroît, elle ne ressort pas à la partition dramatique au sens conventionnel du terme car, essentiellement composée de monologues, elle use des codes théâtraux développés par les dramaturges du Nouveau Roman, à savoir l'absence d'ancrage spatio-temporel, de situation, d'intrigue et de personnage et le rejet tant du réalisme que du psychologisme.
En l'occurrence, de derrière un voile de tulle gris, émergent des archétypes générationnels - une trentenaire (Francesca Cuttica), des quadragénaires (Monica Piseddu et Benno SteineggerAntonio Tagliarini) et une sexagénaire (Daria Deflorian) - dont le point commun tient à leur état dépressif, à des stades d'évolution, de gravité et de compensation ou somatisation différents - qui de la chanson interprétée par Francesca Cuttica à la voix troublante chanteuse du groupe rock WOW, de l'hypocondrie ou de la tentation suicidaire - qui sont des "empêchés".
Alternativement et de manière imbriquée sans toutefois d'interaction dialogique, chacun évoque cet empêchement de l'être, du faire et du dire résultant d'un décrochage du principe de réalité et d'une incapacité à être au monde qu'il attribue à un manque de "force" l'enfermant non dans l'irréalité mais une aréalité dommageable.
Et si le "quasi niente" résonne avec le "presque rien" - l'espace temps qui crée la rupture ontologique - du philosophe Wladimir Yankélévitch, la lecture sur scène d'un extrait d'article de son homologue britannique Mark Fisher, dépressif suicidé, auteur de "Ghosts of My Life : Writings on Depression, Hauntology and Lost Futures", précise le champ réflexif sur le désenchantement, l'apathie et la dépression comme question politique.
Ce travail collectif s'avère impressionnant tant par sa pertinence pour traduire l'accablement qui atteint plus spécifiquement la fameuse Génération X que par sa cohérence et son unité de ton, instillé de quelques percutants traits d'humour. |