Une fois n’est pas coutume, j’ai décidé de me plonger dernièrement dans un livre plutôt axé sur l’économie, moi qui habituellement préfère m’intéresser aux livres d’histoire ou de géographie. L’Afrique est un continent pour lequel j’ai beaucoup d’affection, ce qui explique que j’ai tendance à m’intéresser aux ouvrages qui parlent de ses territoires.
Les éditions de La Découverte viennent de publier un ouvrage fort intéressant sur le franc CFA, L’arme invisible de la Françafrique, écrit à quatre mains, celles de Fanny Pigeaud et celles de Ndongo Samba Sylla. Fanny Pigeaud est une journaliste indépendante qui collabore notamment à Médiapart. Ndongo Samba Sylla est un économiste, chargé de programme et de recherche au bureau d’Afrique de l’Ouest de la fondation Rosa Luxemburg.
Lorsque ses colonies d’Afrique ont accédé à l’indépendance, à l’orée des années 60, la France a réussi un tour de passe-passe redoutable. Elle a alors officiellement reconnu la souveraineté politique des Etats tout en gardant la mainmise sur leur économie, grâce à une arme aussi puissante qu’invisible : leur système monétaire. Depuis la création en 1945 du franc CFA (franc des colonies françaises d’Afrique), le sigle a évolué et désigne désormais deux monnaies : celle de la "communauté financière africaine" en Afrique de l’Ouest et celle de la "coopération financière en Afrique centrale". Mais c’est toujours Paris qui décide de la valeur externe de ces monnaies. Et la zone franc, qui assurait le contrôle économique des colonies, garantit encore à l’économie française un avantage comparatif sur le continent africain.
Les deux auteurs décortiquent ces mécanismes monétaires et racontent comment les dirigeants français ont combattu tous ceux, experts ou dirigeants africains, qui se sont élevés contre cette servitude monétaire. Depuis quelques années, le franc CFA est également l’enjeu de luttes populaires. Conscients que les questions économiques sont éminemment politiques, les citoyens africains sont de plus en plus nombreux à réclamer leur pleine souveraineté monétaire.
Ce livre, d’un peu plus de 200 pages est franchement accessible pour tous ceux qui ne sont pas des spécialistes de l’économie et de la monnaie. Didactique, il commence par nous montrer que cette monnaie est un vestige colonial pour ensuite nous dresser une présentation claire du système CFA reposant sur quatre principes. Les résistances et les représailles à ce système sont alors évoquées dans un chapitre construit autour de nombreux exemples. On voit alors une France qui tient absolument à conserver ce système, qui n’hésite pas à le dévaluer avec l’appui du FMI pour garder intact ses intérêts et en faire l’outil indispensable de la Françafrique.
L’ouvrage se termine en nous montrant une évidence terrible, celle qui permet de dire que cette monnaie est un obstacle flagrant au développement du continent africain car le système du franc CFA impose quatre handicaps aux économies des pays africains qui l’utilisent. La France maintient alors un statu quo qui devient de plus en plus intenable face à des populations africaines qui commencent à contester ce franc CFA.
Erudit et didactique, le dernier ouvrage de Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla illustre parfaitement les relations de soumission économique qui existent encore entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique noire. Il nous incite à réfléchir sur ce que l’on souhaite vraiment : continuer à exploiter l’économie de ces pays ou leur laisser enfin la chance d’être maître de leur destin économique. |