Chez Froggy’s Delight, on aime aussi parler des bouquins édités par des petites maisons d’édition qui arrivent aussi à nous offrir des textes intéressants. C’est le cas avec cette jeune maison d’édition suisse, Olivier Morattel éditeur, qui porte le nom de son créateur.
Olivier Morattel est un éditeur passionné et dynamique qui publie des romans francophones. Installé à Dole depuis deux ans, il est maintenant présent da facon un peu plus importante dans l’hexagone. La maison d’édition s’appuie sur quelques auteurs phares dont fait partie Quentin Mouron, un romancier, intellectuel et chroniqueur suisse. Quentin Mouron est considéré comme un écrivain "de mauvais genre", un commentateur amusé de son époque, ironique, intense, au style percutant et épuré.
Son dernier ouvrage, qui vient tout juste de sortir en est la preuve. Vesoul, le 7 janvier 2015, court texte d’un peu plus de 100 pages, est le sixième roman de l’écrivain. L’histoire se déroule sur quelques jours qui débutent l’année 2015. Un jeune cadre prend le narrateur en auto-stop. Ils roulent ensemble jusqu’à Vesoul. Assez vite, la sympathie s’installe entre les deux hommes qui cohabitent dans cette voiture, ils se découvrent une attitude commune dans leur envie d’adhérer au monde qui les entoure. Le narrateur a quitté la Suisse, il n’a pas vraiment d’attache et refuse une vie morne de sédentaire. Son conducteur est un picaro, un nomade aussi des temps modernes, il se rend à un congrès et fait partie de ces gens qui sont toujours en déplacement.
Ils vont fréquenter ensemble, tour à tour, un salon du livre, un festival de sexualité mais aussi un congrès entrepreneurial. A chaque fois, des rencontres différentes, des discours et des pratiques absolument contradictoires qui vont néanmoins les enthousiasmer. De leurs rencontres, de leurs déambulations se dressent devant nous une cartographie de notre époque, autour d’inventaires ridicules de ce que fabrique notre quotidien.
Très vite, ces deux enthousiastes de la vie vont se heurter à la réalité sinistre dessinée par tous ceux qui refusent le nomadisme, le picaresque et la légèreté. De leurs rencontres se dressent très vite des groupes de sédentaires, qui s’opposent à eux et leur mode de vie, qui sont aujourd’hui les maux de notre société : les religieux, les nationalistes et les populistes. Les rencontres s’enchaînent, autour d’amis d’animaux intolérants, des sympathisants du Hezbollah, de nationaux-socialistes peu fréquentables. A chaque fois, des rencontres improbables qui tournent parfois à la bagarre, sans jamais ébranler les certitudes de nos deux enthousiastes. Trois jours d’affrontements donc, de débats d’idées jusqu’au 7 janvier 2015, qui symbolise le vertige et l’hallucination, qui marque la tragédie avec l’attentat de Charlie Hebdo. Une opposition se met en place entre les sédentaires et les picaros, les sédentaires.
C’est donc une lecture intelligente de notre monde et de notre époque que nous propose Quentin Mouron au travers de ces deux personnages et des êtres qu’ils rencontrent au fil de leur voyage. On lit en filigrane la montée des populismes en Europe, l’explosion de la violence sociale, la détresse des populations marginalisées et le fanatisme religieux qui se déploient comme une réponse à l’absurdité de notre monde. Au fil des pages, le narrateur offre au lecteur une variation importante de sourires. On rit noir, on rit jaune pour au final ne plus rire du tout. La comédie accouche d’une tragédie, encore ancrée dans toutes les mémoires. Les réseaux sociaux s’agitent, véhiculant de nouveau des oppositions entre les complotistes et ceux qui rendent hommage aux victimes. La puissance des hommages et des discours officiels annihileront très vite tous ceux qui se réjouissent des attentats. Les sédentaires ont gagné une bataille, les nomades ont remporté la guerre.
Belle surprise donc avec ce petit ouvrage écrit par Quentin Mouron, qui nous offre une petite farce à l’arrière-goût de tragédie. |