Son excellent duo avec Les Liminanas (Dimanche) annonçait déjà la couleur : musique de boucle, parole minimale, répétitive et malaxée.
Son nouveau disque, Persona, fonctionne de la même façon mais les textes prennent une autre dimension. En effet, le choix de ce titre n’est pas anodin. Persona renvoie à ces masques de théâtre antique mais aussi à une "personne fictive stéréotypée", c’est-à-dire un personnage. Persona, c’est aussi personne, c’est-à-dire quelqu’un, une identité et n’importe qui, tout le monde.
Chaque chanson de ce disque est un personnage ancrée dans la réalité, paumé, esseulé, éconduit, etc. qui par exemple "travaille à travailler pour un travail" puis "travaille à travailler dans un travail" ("Camarade"), sous l’œil d’un contremaitre ("En Rang"). Point important, Belin est, à chaque fois ce personnage, il dit "Je", il est des leurs, leur "camarade".
Cette capacité empathique sans être emphatique force l’admiration : empathique, oui, car Belin se met à la place d’autrui, de ces autrui démunis ou déclassés : sur "Glissé Redressé" : "je n’ai plus de pays, me donner du pain m’en faire don", puis cet homme, qui a glissé se redresse et alors musique et chant varient, subtilement, deviennent plus lumineuse et les cordes éclairent tout ça et pour lui c’est "la fin du sable sale, fin des tessons, fin de ma faim d’animal, fin de maudire les saisons, madame monsieur je me suis redressé" ; Belin voit dans les rues tous ceux qui sont, toujours plus nombreux, à la rue, assis par terre, sur le cul : "Il y avait un homme ce matin (…) il y avait dix hommes ce matin, comme hier d’ailleurs, sur le cul" ("Sur le Cul"). N’oublions pas ce largué, paumé, esseulé qui cherche un banc pour tenter de dire des "Choses nouvelles" à celui ou celle qui l’a délaissé : "cherchant un banc bien gaulé (…) assis sur ce banc mal gaulé … je chéris ton cœur adoré (… ) cachant à ma raison que du temps a passé je chéris ton cœur, la nuit je parle seul je te parle tout seul pour te dire des choses nouvelles" ; de même sur "Nuits bleues" : "elle est partie, c’est rien de le dire (…) ouvre la fenêtre le ciel est noir d’oiseau (…) la vérité, la vie crue, les nuits bleues, le bruit et la fureur (…) le ciel a changé de place, un vague à l’âme, le ciel a enfin changé de place".
Musicalement le climat est un bluesy et les chansons reposent sur des basses jouées en boucle et des batteries chaudes, les guitares sont présentes mais plutôt en toiles de fond. Les claviers interviennent, ponctuent, interférent ou brouillent la parole ("Bronze"), indiquent, par exemple, un changement de sens, de même pour les (rares) cordes.
En quelque mots, en jouant sur les intonations et la ponctuation, Belin, de son chant contenu nous donne à voir (plus qu’à entendre) des réalités sociales et humaines : ce "S’il vous plaît" adressé à un certain public à l’opéra ("L’opéra") répété toujours différemment donne à voir le mépris d’une partie du public pour une autre partie. Cela sans être emphatique car ici tout est discret et les petites variations dans cette musique de boucle nous donnent à comprendre ; tout est clair pour qui veut bien tendre l’oreille car Belin ne crie rien, n’impose pas le sens, ne vole pas la vedette aux "gens" dont il parle.
Dire beaucoup avec très peu, c’est là je crois l’objectif de Belin, et cela autant dans la musique que dans les paroles.
Donner accès au sensible à ces "persona", à ces personnes, et le réaliser de cette façon là, avec discrétion, en étant personne c’est-à-dire quelqu’un et justement, personne, tout le monde, sans ne jamais dire eux, les différents, les anormaux, les déclassés, les esseulés, etc. mais "Je", sans ne jamais brandir slogans ni étendards, sans ne jamais "dénoncer les injustices" est une démarche politique bien plus pertinente et admirable que toutes les "chansons engagées" des ridicules "artistes engagés" (ça veut dire quoi, d’ailleurs artistes engagés ?) qui bien souvent instrumentalisent les causes qu’ils dénoncent (quel courage !) à leur propre profit et gloire.
Dernier point enfin, au vu des thèmes abordés dans ce disque il eut été indécent de développer des musiques opulentes aux arrangements riches et fournis. Ici, au contraire, le dépouillement et la sobriété sont de mises, peu de musiciens, peu d’instruments, beaucoup de précision dans l’exécution. Un climat sobre, retenu.
Un disque, c’est certain, qui marquera ; Persona est de ce genre de disque que l’on ré écoutera lorsqu’on sera lassé de tout le reste.
Avec la mort de Lynch, c'est un pan entier de la pop culture qui disparait, comme ça, sans crier gare. Il reste de toute façon sa discographie qui n'a pas attendu sa mort pour être essentielle. Pour le reste, voici le sommaire. Retrouvez-nous aussi sur nos réseaux sociaux !