Comédie de Joël Tejero, mise en scène de Hugo Tejero, avec Sandra Provasi, Johann Proust et Aline Barré.
L'opus "Aux délices" de Hugo Tejero mérite bien son titre tant il constitue un mets de haute gastronomie théâtrale digne d'un auteur étoilé qui ravira les amateurs de comédie noire et du double effet kiss-cool.
Farcesque, burlesque et tragi-comique, il invite à l'immersion dans l'intimité d'un couple de quadragénaires provinciaux dans les années 1990, quoique l'ancrage temporel ne soit pas pas déterminant au regard de l'intrigue même s'il contribue à un facétieux anecdotisme, et plus précisément dans une soirée pré-dominicale qui va s'avérer apocalyptique.
En effet, les Michelet, propriétaires d'une ancestrale charcuterie-traiteur, s'ils s'accordent sur leurs préoccupations financières, compter la recette du jour et faire fructifier leur magot caché bien au frais dans la chambre froide, divergent face à leur petite entreprise qui connaît la crise. Industrieuse, Madame veut investir pour moderniser la boutique et diversifier l'activité mais Monsieur préfère l'attentisme frileux.
Alors démarre au quart de tour une scène de ménage d'autant plus jubilatoire, épique et maelstromique que les protagonistes constituent des archétypes de Français moyens et ordinaires, hybridation des Bidochon de Binet et des Beaufs première génération de Cabu, et de poujadistes archétypaux.
Puis, la situation jubilatoire, qui n'est pas sans évoquer la sérié télévisée belge "Striptease", bascule, à la manière pintérienne, avec l'arrivée intempestive et intrusive d'une inconnue, et en résonance avec l'univers glauque du néo-polar des années 1980, dans le théâtre de la catastrophe avec un huis-clos délétère à l'inattendu dénouement.
Du grand art que cette satire féroce de la médiocrité, de la bêtise et de dangerosité ordinaires au texte percutant pour laquelle la mise en scène de Hugo Téjéro ne force ni sur le naturalisme ni sur l'hyper-réalisme en l'appuyant, et à juste titre, sur le talent et le jeu des comédiens qui évitent l'écueil du sur-jeu.
Aline Barré campe avc justesse la violence douloureuse, Johann Proust est parfait en taciturne et pleutre un peu bas du front paraissant inoffensif, et, mention spéciale au bel abattage comique de Sandra Provasi dans le rôle de l'épouse.
L'excellent trio porte efficacement la partition et dispense un spectacle aussi divertissant que tragique à inscrire à l'actif de la Compagnie On n'est pas les meilleurs mais on est pas les pires non plus et à ne pas rater s'il passe près de chez vous.
|