Sapho revient sur une scène parisienne avec un Récital Ferré Flamenco.
Amoureuse de la poésie et femme engagée, elle souhaite transmettre l'œuvre de Léo Ferré, le libertaire, qui a su si bien lui aussi chanter les poètes.
Son récital lui ressemble, fougueux et passionné, sur des arrangements musicaux presque minimalistes qui viennent de l'Espagne andalouse, patrie de Garcia Lorca et Picasso.
Après la représentation et les remerciements de courtoisie dans le hall de la Maison de la Poésie, elle a la disponibilité et la gentillesse de nous accorder une interview et de poser pour quelques photos.
Une belle rencontre avec une femme lumineuse.
Pourquoi chanter Ferré?
Sapho : Ferré fait partie de mon adolescence et je crois qu'il nous a tous un peu tissé, construit ce qui l'aiment en tout cas et il nous a rapproché des poètes. Ceux qui aiment Ferré constituent une sorte de secte. Il nous a liés, soudés et dans ce mouvement je voulais lui rendre hommage. Chanter Ferré c'est aussi être dans ma jeunesse.
Une réapproppriation aussi?
Sapho : Bien sûr parce que moi je ne peux pas faire autrement. Je ne sais pas faire emblant ou "faire à la manière de…". Quand on interprète, il faut se réapproprier aussi sinon c'est dépourvu d'intérêt.
Je voulais lui rendre hommage, le faire revivre et de restituer son esprit plus que la lettre. Au départ, je ne savais pas selon quelles modalités je le ferais. Je ne voulais pas d'un grand orchestre mais plutôt une formation légère. J'ai pensé à Vicente Almaraz qui est mon ami depuis longtemps et je me suis vite rendue compte que c'était très pertinent car Ferré parlait beaucoup de l'Espagne et avait un caractère très emporté, très latin. Et donc ça fonctionnait et cela m'a enchanté. Plus nous avancions dans le travail et plus je trouvais que cela sonnait juste.
Ce qui s'est passé également c'est que Maîté Vallès-Bled du Festival Voix de la Méditerranée" à Lodève m'a fortement encouragée à continuer quand je lui ai parlé de ce projet en mars. Elle voulait ce spectacle pour juillet suivant ce qui m'a catalysé. Ce fût une magnifique expérience qui m'a sauvé la vie à un moment où je n'allais pas bien. Et bien évidemment je me suis rendue compte après coup également de la difficulté de l'entreprise.
C'est difficile car il y a un aspect très débordant et il ne faut pas tomber dans le mélodrame. Il faut en tout cas tenir ce que l'on fait même si c'est baroque. L'autre difficulté était le décalage au niveau musical en déportant la musique vers le flamenco. Et comme il y a peu de chose, tout s'entend. D'où une grande précision qui coexiste avec une part de folie, d'extravagance et de vertige. Sur scène, vous dites que le travail a été d'aller plus loin que l'étude de la partition de Ferré.
Sapho : Ce sont des textes beaux, forts. Nous sommes dans une civilisation où nous n'avons pas le droit de dire des choses douloureuses. Il faut être festif car il y a une sorte de terreur de la douleur mais très souvent l'art consiste à donner du bonheur en parlant du malheur. La douleur peut être libérée et elle n'est pas intrinsèquement triste. Il y a une leçon de vie de prendre acte de la douleur, d'en parler et le cas échéant de se révolter notamment contre certaines douleurs comme la guerre, comme toutes les folies humaines. Il ne faut pas abolir la tristesse au nom du meilleur des mondes à la Orwell. Pour moi, c'est de la joie même si le propos est douloureux. C'est vivant !
Avez-vous déjà des projets de tournée avec ce spectacle ?
Sapho : Oui, bien sûr. Par exemple, on me propose d'ouvrir la saison dans un théâtre à Avignon où chantait Ferré. C'est un répertoire qui me fait du bien, qui me fait respirer très fort car il faut chanter à pleine voix. Et puis c'est ma jeunesse !
Vous vous trouvez dans une période de nostalgie?
Sapho : Non, j'ai plutôt envie de transmettre comme lui a eu cette générosité de nous transmettre la voix des poètes j'ai envie de transmettre Ferré à des gens plus jeunes. Et je pense qu'avec la mise en musique que je propose l'accès sera facilité.
Y a-t-il un projet d'album également?
Sapho : Oui. Nous essayons de le sortir assez vite mais nous sommes encore dans des choix de mixage.
Avez-vous d'autres projets?
Sapho : Oui, bien sûr. Cela concerne mes propres chansons Mais ce projet est un peu retardé du fait des lenteurs inhérentes aux maisons de disques et au fait que, comme je suis toujours impatiente, je me suis investie à fond dans ce spectacle. Mais ce projet est toujours en cours. Il comprendra des chansons nouvelles et également des versions en marocain dialectal de mon propre répertoire.
Vous êtes une artiste engagée et vous participez à de nombreuses luttes politiques ou sociales. Y a-t-il aujourd'hui une priorité?
Sapho : Je ne fonctionne pas de cette manière, en mettant un coup de projecteur sur un problème ou un autre. Il n'y a de prémédité ou d'obsessionnel chez moi. C'est au fil de l'actualité. Ce peut être la cause des femmes, le conflit au Moyen Orient…Bien sûr, ce dernier a cristallisé tant d'autres conflits qui ont rayonné de manière pernicieuse dans le monde ce qui explique mon attachement. Je peux me mobiliser sur d'autres sujets comme dernièrement pour la libération de Florence Aubenas. C'est réagir contre une injustice, une douleur, une oppression afin de ne pas rester en non assistance à une personne en danger. Si on a une parole publique on essaie de l'utiliser. On fait ce qu'on peut.
Transmettre et se battre.
Sapho : Oui. Se battre. Je crois que c'est notre seul honneur même si on nous dit que cela ne sert à rien. L'honneur de l'homme est de se battre, de ne pas rester inactif.
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