On ne sait jamais trop à quoi s'attendre en allant à un festival Inrocks.
On connaît les groupes, ou du moins la tête d'affiche, et après ça dépend : on est curieux de découvrir le reste, ou à l'inverse impatient d'assister au concert de son idole, qui passe généralement en dernier.
En l'occurrence, je ne connaissais rien, ou presque. Spleen pour l'avoir vu en première partie de Nosfell à Paris Plage cet été et en "Concert sauvage"* avec Devendra Banhart en septembre ; et Stupeflip, enfin leur tube "Je fume pu d'shit", maxi single sorti en 2002. Le reste, de nom uniquement.
Bon départ donc pour une soirée qui allait se révéler pleine de surprises.
La première d'entre elles, le pied à peine posé dans le hall de la Cigale : l'invitation en mariage de Spleen, destiné à ma copine (qui se déclinera plus tard en "Tu veux tourner dans mon prochain clip ?" ou encore "Je prends ton numéro, le temps que tu réfléchisses…").
Quelques minutes plus tard, c'est à moitié nu, en tutu bleu et chaussettes de sport blanches, qu'on le retrouve sur scène avec son guitariste pour seule compagnie. Jolie entrée en matière acoustique pour laquelle Spleen nous fait la démonstration de ses jeux vocaux, dans la lignée de Camille et de Nosfell, et de sa voix de crooner.
Puis ses comparses du "Black and White skins" prennent possession de la scène : un danseur, une danseuse, un bassiste, un batteur, un human beat box (ou boîte à rythme humaine), un clavier, une dessinatrice, et un… squatteur (juste là pour être avec ses potes).
Sur scène, c'est la fête, un drôle de charivari au point qu'on ne sait plus où donner de la tête. On est tentés de suivre Spleen, qui fait son show, tel l'acteur qu'il est, avec toute la fougue qu'on lui connaît désormais. Mais les danseurs sont vraiment bons et accaparent rapidement l'attention, au détriment du chanteur.
Entre ces moments de folie incompréhensibles pour le néophyte, on assiste à quelques perles au son doux et suave pour lesquels Spleen tire de sa palette sa voix la plus sensuelle. Parmi elles, un morceau composé avec Sébastien Martel sur le dernier jour d'un condamné à mort, "Beautiful Sunday". Le reste oscille très adroitement, malgré le désordre ambiant, entre rap, funk, blues, soul et jazz pour former des mélodies accrocheuses.
Spleen, dont le nom de scène n'a a priori rien à voir (quoique…) avec le Spleen de Baudelaire, a remporté le concours Inrocks CQFD cette année, et pour cause : son funk hybride, sa voix polymorphe, ses cris, bruits et soupirs, et surtout l'énergie qu'il dégage font de lui un artiste convaincant et attachant.
Deuxième surprise, Martha Wainwright, sœur de Rufus et fille des célèbres musiciens de folk Loudon Wainwright III et Kate McGarrigle. En effet, je ne m'attendais pas à trouver dans cette programmation 2005 une chanteuse canadienne aux influences folk et country manifestes. Après tout, pourquoi pas ?
Musicalement, j'accroche nettement moins. La mise en scène, certes moins brouillon que la précédente, manque singulièrement de dynamisme. La choriste, cousine de la chanteuse, gardera tout au long du concert ses mains dans les poches et ses cheveux dans les yeux. Quant aux autres membres du groupe, ils sont bien là, mais quasi inexistants.
Malgré cela, Martha m'attendrit. Si je n'adhère pas à sa musique (il faut aimer les classiques "Yeah" et "One more time" de la "country music") et à la performance scénique, je me laisse charmer par la chanteuse, sa spontanéité et son humour. Malheureusement, une bonne partie du public perd vite patience et se met à la huer dès le deuxième titre. Impatients, mais surtout incorrects les bougres.
Après l'avoir huée, on acclame Stupeflip, applaudit avant la fin du morceau, rigole et crie. La pauvre termine tout de même sa playlist et quitte la scène désolée en remerciant le public pour son accueil…
Difficile de prendre la suite sans un peu d'appréhension. C'est au tour de Sufjan Stevens, ce jeune songwriter américain qui s'est mis en tête de réaliser autant de disques (EP, album ou single) que d'Etats américains. Selon mon voisin de strapontin, "la claque de l'année". our son deuxième opus sur le thème The 50 States, après Greetings from Michigan, the great lake state sorti en 2003, Sufjan s'attaque à l'Illinois avec Come on feel the Illinoise (juillet 2005).
A Bruxelles, en octobre dernier, ils étaient déguisés en gymnastes de l'Illinois. Ce soir, c'est le front orné de masques d'Halloween, fête des Morts oblige, qu'ils entrent en scène. Une fois encore, le ton change. Au menu de ce troisième concert : un xylophone, une trompette, un trombone, un triangle, trois violons, un violoncelle et une choriste. Sufjan, au physique chétif de jeune étudiant timide, s'accompagne quant à lui à la guitare, tantôt folk, tantôt sèche, tantôt banjo. Affublé de son orchestre, il chante d'une voix mélancolique et angélique, tout dans une délicatesse et une finesse qui manquaient encore à l'éclectisme de ce festival.
Pour seule mise en scène, quelques rais de lumière qui éclairent des musiciens plongés dans l'obscurité. L'ensemble, malgré les rires et remarques d'un public décidément puéril, est majestueux. La plupart des morceaux fonctionnent sur ce même schéma : Sufjan chante le couplet, les musiciens le rejoignent pour le refrain qui confère au titre au style jusqu'alors épuré, une profondeur poignante. Quand il choisit de jouer ce morceau dédié à sa sœur, il opte pour le piano, et c'est tout aussi ensorcelant.
Pour la première fois ce soir, la sobriété prime et on apprécie d'autant plus la modestie, l'absence d'artifice et de prétention des musiciens lorsqu'ils se lèvent, face à la scène, pour applaudir et saluer à leur tour le public.
The Go Team ! Que dire ?
Dès la levée du rideau, la présence de deux batteries laisse présager une prestation plutôt bruyante. Effectivement…
Il n'a pas fallu deux minutes pour que ces jeunes anglais mettent le feu à la salle. Avec leur "lo-fi", leur electro-funk-rock noisy et leur look d'étudiants échappés d'un film d'ado américain, ils semblent en effet plus en phase avec le public de ce soir. La chanteuse, en habit de pom-pom girl, s'agite et crie autant (si ce n'est plus) qu'elle chante. Elle autorise d'ailleurs ses spectateurs à faire de même et pour la première fois ce soir, la foule se déchaîne et pogote à l'envi.
Ils ne cessent d'asséner leur leitmotiv entêtant "Go team go !", ponctué de quelques "Make some noise !!!!!!!!!!" ou "We want to see you all dancing !", ravis de trouver du répondant dans le public. Outre les gesticulations et hurlements de la majorette, le groupe offre cependant quelques instrumentales rock intéressantes, malheureusement étouffées par une chanteuse un peu encombrante à mon goût.
Bilan, une performance débridée et au dynamisme incontestable, mais qui ne restera pas dans les annales.
Enfin, l'heure du tant attendu crou Stupeflip est arrivée.
Avec ses personnages en costumes et masques noirs, une scène plongée dans le noir et les fumigènes, la salle prend des allures de cérémonie funèbre devant des adeptes en transe. Pour ceux, comme moi, qui ne connaissent de Stupeflip que leur single "Je fume pu d'shit", le choc est grand. Quel rapport entre cette ambiance lugubre et le titre guilleret et léger le plus médiatique du groupe ? Manifestement, aucun. L'histoire, ils la racontent au fil du concert : c'est celle du C.R.O.U, fondé en 1972 dans le but de terroriser la population et de créer une nouvelle ère, l'ère du Stup. En matière de terreur, ils sont plutôt bien rôdés… Leur flow est dur, violent.
Les images projetées en noir et blanc, les costumes de squelettes et de membres du Ku Klux Klan, les cris et pleurs désespérés, les têtes tranchées et drapeaux rouges, tout dans l'univers élaboré et récurrent du groupe participent de ce malaise ambiant dont il ne démord pas, du début à la fin du concert. Il s'attaque au pouvoir ("à bas la hiérarchie"), à l'argent ("pourquoi les enfants qui ont été bien élevés en grandissant se rendent compte que tout est permis quand il est question d'argent ?") avec pour arme un rap acerbe, tranchant, des riffs punk, un style parfois électro-rap, parfois variétoche parodique ambiance clips ringards eighties, avec un humour décalé, des textes cyniques et désabusés. Dernière surprise de la soirée donc. Mais pas des moindres ! Car pour une candide telle que moi, difficile de comprendre pourquoi les membres du groupe et leurs fans s'insultent mutuellement à longueur de concert. Finalement, le "allez vous faire enculer, on reviendra jamais, c'est fini, adieu" lancé par le crou en guise de remerciement, n'a rien de bien surprenant…
* Émission musicale de France 4 dont le concept est d'investir un lieu public et d'accueillir sur ce même lieu tous types d'artistes : musiciens, danseurs, graffeurs etc |