Comédie politique de Georges Naudy, mise en scène de Eric Civanyan, avec Philippe Magnan et Cyrille Eldin.
Depuis "Le Souper" écrit en 1989 par Jean-Claude Brisville, le théâtre dit "de conversation" en ce que, dépourvu d'intrigue comme d'action, focalisé sur le dire et l'antagonisme philosophique, idéologique, politique, éthique ou moral de deux personnages dans un huis-clos fictionnel, suscite régulièrement tant l'imagination des auteurs que l'engouement du public.
L'opus de Georges Naudy intitulé L'Opposition - Mitterrand vs Rocard" intervient de manière émérite dans ce genre, avec l'affrontement des tempéraments et des idées et le sens de la formule, et le registre de la confrontation politique avec une partition construite à partir d'une entrevue réelle intervenue entre les deux prétendants potentiels à l'investiture pour l'élection présidentielle de 1981 et de leurs déclarations et écrits nourrissant de percutants dialogues théâtralisés.
Georges Naudy a opté pour une trame claire que même signifie le décor conçu par Edouard Laug, un bureau dans lequel trône une monumentale bibliothèque toute en hauteur, symbole de la grande culture de son occupant mais également métaphore de statue du Commandeur ainsi qu'une méridienne évoquant le divan psychanalytique.
En effet, les protagonistes ressortent chacun à une des deux catégories d'hommes : les pères et les fils. François Mitterrand est un père, non le miséricordieux et aimant père biblique mais le saturne monstrueux dévorant ses enfants par crainte de leur succession, et, de plus, celui qui se veut le premier et dernier monarque de la gauche, celui sans postérité politique et magnifié par "sa" pyramide, celle placée au coeur du palais royal que fut le Louvre.
Michel Rocard, de vingt ans son cadet, est un fils sous l'emprise d'un complexe d'Oedipe autant plus irrésolu que face à une double figure, celle du père tutélaire et celle du fondateur de l'Union de la gauche, il ne parvient pas à se résoudre à "tuer le père" et, en quête tant de la reconnaissance que de l'adoubement du chef, demeure ainsi en position de faiblesse.
Dès lors entre le septuagénaire vieux briscard de la politique et de la gouvernance et le "jeune" prétendant technocrate qui, en pratique, ne connaît guère que le clochemerle municipal, la négociation, sinon le combat, s'engage avec virulence.
A la mise en scène de cette caustique partition, Eric Civanyan ne prétend ni à la réformation ni à l'originalité et veille à l'absence de dérive vers le numéro d'acteur comme la tentation caricaturale.
Au jeu, Philippe Magnan, marmoréen, manie à l'envi, et avec une évidente délectation, l'ironie, le sarcasme et l'humour pince-sans-rire, surtout aux dépens d'autrui, et l'instrumentalisation du vieux briscard, surnommé "le Sphinx", que le désir de revanche après deux défaites continue d'aiguillonner dans la course au pouvoir.
Et Cyril Eldin campe avec conviction, et de façon convaincante, l'outsider, éternel second, qui ne sort pas vainqueur de ces aiguisées joutes verbales qui égaient le spectateur tout en levant le voile sur les cyniques arcanes politiciennes. |