"Il marche, Walker. C'est son nom et sa nature".
Voilà le seul roman étranger publié pour cette rentrée littéraire aux éditions de l’Olivier. A le lire, on comprend vite que ces éditions n’avaient pas besoin d’en publier d’autres pour nous convaincre. Déjà, on ne peut que s’arrêter sur la superbe couverture de l’ouvrage, une magnifique photographie en noir et blanc du dessous du métro aérien new-yorkais datant de 1940. Vient ensuite le titre, Walker, du nom du personnage principal du roman puis un sous-titre que l’on découvre une fois les premières pages tournées, "ou l’art de perdre à pas lents" qui, au final, résume parfaitement notre future lecture. Saluons enfin, au passage, le travail formidable de la traductrice Josée Kamoun sur cet ouvrage.
A la manœuvre de cette objet littéraire non identifié et particulièrement surprenant se trouve Robin Robertson, l’un des poètes britanniques contemporains les plus en vue. Il est également l’éditeur d’Irvine Welsh, John Banville et James Kelman. Walker, son premier roman a été finaliste du Man Booker Prize et a remporté le Goldsmith Prize. Walker est un ouvrage époustouflant, et ce n’est rien de le dire. Il faut le lire pour le comprendre et s’en rendre compte. Parlons donc de l’histoire maintenant.
Jeune soldat canadien de retour des champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, Walker s'installe à New York en 1946. Hanté par la violence des combats, par les images de guerre qu’il vient de traverser, celles de son passé dans son pays natal, et par une culpabilité dont il ne peut se défaire, il tente de survivre et peine à trouver sa place dans une Amérique où l'argent et la corruption règnent désormais en maîtres.
Walker se lance alors dans une odyssée qui le conduit à San Francisco puis Los Angeles, tente de gagner sa vie en travaillant dans la presse et côtoie le monde du cinéma et du film noir qui le fascine. Dans le confort des salles obscures, Walker oublie tout. A l’écran pourtant, la vie décrite est la même : corruption, meurtres, âmes sombres et damnées. Les femmes, bien sûr, y sont fatales. Après la guerre, le monde est bel et bien devenu un film noir. Point de salut pour cette âme perdue, condamnée à errer dans un décor qui n'est autre que le reflet de son chaos intime. Walker, l’homme ordinaire précipité dans le chaos, marche pour fuir la violence, la peur perpétuelle et la folie qui le guette.
Construit sous la forme d’un long poème en prose, l’ouvrage nous dévoile une Amérique cinématographique au détour du regard d’un marcheur solitaire particulièrement porté sur le septième art qui le pousse à quitter New-York pour se rendre vers la cité des Anges dont on trouve d’ailleurs au début de l’ouvrage un plan détaillé de son centre à l’époque.
Le texte est autant désorienté que son narrateur, combinant narration au présent, flashbacks mais aussi extrait de journal intime et autres rêves. Au milieu de tout cela, s’insèrent des cartes postales en noir et blanc.
Walker nous emporte et nous habite, dans les méandres de son épopée sous la forme d’un poème épique aux images puissantes. Walker est une évocation en noir et blanc de l'Amérique de l'après-guerre, une sublime parabole sur la nature du Mal. Walker est aussi une expérience littéraire qui nous hypnotise, les mots résonnent et donnent une tonalité particulière à cet ouvrage qui se lit presque d’une traite, emporté par le flot de ce texte précieux qui entremêle la beauté et la laideur du monde qu’il décrit. Walker est un grand livre, tout simplement. |