Textes de Anton Tchekov interpréts par Jacques Weber, Manon Combes et Loïc Morbihan dans une mise en scène de Peter Stein.
Si l'on va régulièrement au théâtre, on a certainement déjà vu les "3 farces" de Tchekhov qui, cette fois sont dans les mains expertes de Peter Stein et de Jacques Weber. Tellement expertes qu'elles ont savamment ordonnées le spectacle. D'abord, "Le Chant du Cygne" qui n'est pas stricto sensu du théâtre puisqu'il s'agit d'une nouvelle, mais qui a souvent été transposée sur scène parce qu'elle raconte la rencontre fortuite d'un acteur et d'un souffleur sur scène bien après la représentation. L'acteur, au bout de sa carrière, pour une ultime fois, va se confronter aux grands auteurs qu'il a servis toute sa vie. Jacques Weber et Peter Stein ont une vision "farcesque" du texte et l'acteur, hirsute, mal démaquillé, habillé en vieux tragédien construit son personnage dans l'ambiguité de la démesure. Jadis, un Jacques Mauclair jouait le chuchotement mélancolique. Weber, lui, est tonitruant face à un souffleur lunaire et fantomatique (Loïc Mobihan). Sur une scène brute, une atmosphère de coulisse, Weber entre doucement dans l'univers de Tchekhov, à la limite du contre-sens, sauvé par l'ampleur de son jeu. Mais dans "Les Méfaits du tabac", cette fois-ci un monologue sous forme de conférence, cette ampleur "énorme" est incontestable. Placé dans un écrin de toute beauté par le scénographe Ferdinand Woegerbauer, éclairé idéalement par David Maul, il frôle dans le costume que lui a fabriqué Anne Maria Heinreich la limite du grotesque sans jamais y tomber. Pathétique dans ses propos, il est sur le fil entre un rire qu'il provoque ou qu'il subit. Dénonçant le tabac en prisant lui-même n'arrange pas ses affaires. Malgré tout, il sait jusqu'où aller pour ne pas risquer que le malaise s'installe dans son public. Cette justesse de ton dans la dérision n'est pas à la portée de n'importe quel acteur. On comprend aussi pourquoi Peter Stein tient à être considéré comme un "metteur en scène d'acteurs". Les deux compères vont ainsi passer au crescendo final, à l'apothéose par le théâtre avec "Une demande en mariage", cette fois-ci une vraie courte pièce à trois personnages et un canapé. Comme dans "Les méfaits du tabac", on peut dire que le décor, les costumes, les lumières concourent à la totale réussite de l’entreprise. Il suffit de voir débarquer Jacques Weber dans sa belle tenue verte, très "russe" avec sa casquette et ses bottes. On pourrait presque être à Moulinsart dans quelques cases d'une bande dessinée dite "ligne claire". Weber n'y est pas en position de force, il est le père observateur amusé ou faussement courroucé, qui regarde sa fille (Manon Combes) se quereller avec celui qu'elle devrait mathématiquement épouser (Loïc Mobihan). Le travail de Peter Stein et le jeu de Weber parviennent ensemble à une perfection vertigineuse. Tout ce qui paraissait ne pas atteindre totalement son but dans les deux premières "farces" n'étaient que les banderilles pour que la corrida gagne une dimension historique dans la troisième. Ils sont incontestablement aidés par Manon Combes, parfaite en amoureuse colérique. Rarement un spectacle réussi explique lui-même les clés de sa réussite. Dans "Crise de nerfs", le miracle se produit et la perception que l'on en a n'est soumise à aucun effort didactique. Stein et Weber ont l'évidence du génie théâtral. |