"Je préfère les gens qui ne me comprennent pas".
Ainsi commence le dernier opus des Têtes Raides, Fragile, douzième galette du combo parisien (en comptant les deux lives et la compil').
Cette phrase d'introduction pourrait illustrer la volonté (ou non) du groupe de prendre les gens à contre-pied et surtout d'être là où on ne les attend pas.
Fragile marque un tournant ou plutôt un retour aux sources. Certains ne vont pas s'y retrouver, d'autres vont adorer, enfin quelques-uns vont découvrir…Le ton est plus incisif, le son plus brut.
On sentait déjà le coup venir avec la tournée qui suivait le précédent album Qu'est-ce qu'on s'fait chier et la sortie du live 25.05.04. Les Têtes Raides revenaient en quelque sorte à leurs premiers émois (qu'ils n'ont jamais réellement quittés d'ailleurs).
Fragile s'inscrit dans la ligne directe des deux premiers albums du groupe, à savoir Not dead but bien raides et Mange tes morts. Christian Olivier ne chante-t-il pas sur le titre "l'Oraison", "Lâche un peu le bout du toit" ? Il est vrai, ces mots sont sortis du contexte de la chanson mais l'interprétation au premier degré faisant référence à l'album Le bout du toit, prend du sens.
Fragile délaisse l'accordéon (pas une seule note) pour se recentrer sur un schéma plus rock accompagné de cordes ici, de saxo là, de textes inspirés…Les Têtes Raides délaissent un temps la chanson dite néo-réaliste pour repartir sur des sentiers plus rock voire punk.
"Je préfère comprendre les gens qui comprennent que je ne les comprends pas"
Le Têtes Raides ont confié la co-réalisation à Denis Barthe, batteur de Noir Désir. Très bon choix vu le bon cru qui en résulte. D'autres invités de marque viennent ici et là, tout au long des quinze titres. Le titre "Latuvu", ritournelle rock très efficace, voit ainsi défiler, le chanteur de The Ex, Didier Wampas, l'ami Rachid Taha sans oublier Mikaël Laugier et Jasmine Végas, poulains du label Mon Slip.
Romain Humeau, chanteur d'Eiffel et camarade du groupe, associe avec réussite, sur "l'Oraison", un quatuor à cordes à la voix de Christian Olivier et au schéma guitare / basse / batterie. François Pierron, compagnon de route de Loïc Lantoine, amène sa contrebasse sur "Les Animaux", pour un détour plus acoustique. Le raccourci accueille superbement "Les Ondes Martenot" de Christine Ott. Enfin, les Têtes Raides et le groupe The Ex se retrouvent pour "De Kracht", titre d'une intensité rock et d'une efficacité redoutable.
"Je comprends que les gens qui comprennent que je ne les comprends pas je les comprends".
"Je voudrais pas crever" est certainement un des meilleurs titres de l'album, tant la musique du combo parisien arrive à porter les mots de Boris Vian. Cela aurait pu être bancale, ici au contraire c'est un des meilleurs moments de l'album, les deux univers se mariant de manière remarquable.
Fragile met en avant la fibre militante des Têtes Raides, la radicalité de la musique s'associant au regard lucide de Christian Olivier notamment sur "Constipé", chanson s'inscrivant dans la lignée de "l'Identité".
Fragile va en décontenancer plus d'un. L'univers du groupe est ici plus dense et il est sans doute moins aisé d'y rentrer. Cependant, une fois passée la première écoute et l'effet de "surprise" qui peut en résulter, la dernière galette des Têtes Raides est une belle claque et une belle réussite.
C'est tellement bon de voir des artistes sortir des sentiers balisés et prendre les chemins de traverse. Ils ne sont pas beaucoup à oser ce pari, alors quand le résultat est de cette teneur…
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