Réalisé par Andreï Kontchalovski. Russie. Drame. 2h (Sortie 1er septembre 2021). Avec avec Ioulia Vyssotskaïa, Serguei Erlish, Youlia Bourova et Andrei Goussev.
A bientôt 85 ans, Andreï Kontchalovski n'en finit pas de tourner de grands films. Qu'on se souvienne des "Nuits Blanches du Facteur" (2014), de "Paradis" (2016) et de "Michel-Ange" (2019).
Avec "Chers camarades", récit d'une grève durement réprimée à Novotcherkassk en 1962, le voilà de retour à ses premières années de cinéaste, celles où il n'avait pas encore réalisé son premier film ("Le Premier maître", 1965) mais un premier court -métrage ("L'enfant et le pigeon", 1961) où il coscénarisait "L'enfance d'Ivan", le premier chef d'oeuvre de son am Andréï Tarkovski.
Dans "Chers Camarades", la magnifique photo en noir et blanc d'Andreï Naïdenov est au niveau de celle de "L'Enfance d'Ivan". On n'imagine d'ailleurs pas la description de l'ère krouchtchévienne en couleurs. Pour Kontchalovski, cette période post-stalinienne est, comme celle de la guerre patriotique contre le nazisme, un moment où la plupart des soviétiques étaient idéalistes, croyaient peut-être encore aux idéaux nés sous Lénine.
Par-delà la corruption qui gangrène une partie de la nomenclature, et qui aboutit à la révolte des simples travailleurs à qui on a promis un paradis qu'ils voient détourner par ces profiteurs, il y a des êtres purs comme Liouda (Ioulia Vyssotkaïa), des communistes ardents qui croient toujours au socialisme. Il faut dire qu'elle est la fille d'un "héros de l'URSS", un héros qui lui s'est réfugié dans la boisson et ne se fait plus les illusions de sa fille. C'est aussi le cas de Svetka (Youlia Bourova), sa petite-fille.
Celle-ci participe aux manifestations qui vont causer la mort de dizaines de travailleurs. Liouda, sans nouvelles d'elle, se met à sa recherche : ses yeux vont se dessiller sur la nature du régime qui paraissait avoir changé depuis les horreurs staliniennes...
Ioulia VyssotkaÏa, égérie de Kontchalovski depuis deux décennies, et aussi son épouse, est grandiose en communiste de choc rattrapée par l'amour maternel et pris dans un dilemme de croyante refusant jusqu'au bout d'admettre que ses valeurs ont été trahies.
Naviguant entre l'intime et de grandes scènes très fortes où l'on découvre la foule pacifique massacrée par la police et l'armée, "Chers camarades" d'Andréï Kontchalovski est une œuvre nécessaire.
Bien entendu, les Russes seront sans doute sceptiques quant à la sincérité du cinéaste, frère de Nikita Mikhalkov, grand ordonnateur du cinéma d'état, de Brejnev à Poutine. Qu'importe, le film est là, fort, nourri de détails vrais et rendant hommage à ces victimes innocentes, tombées pour avoir cru que les choses changeaient à l'orée des années 1960.
Avec ce cinéma d'une ampleur rare, capable de passer en un instant du vérisme au lyrisme et même de finir dans un climat onirique, Kontchalovski est parvenu à la maîtrise des très grands et plane très au-dessus de l'école américaine où, par exemple, un Scorsese ressasse désormais en série un cinéma de pure distraction et sans plus beaucoup d'ambitions esthétiques et morales.
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