Murat,
en ... houla déjà ?? années de carrière nous a habitué
à tout, pas souvent au pire (sans Regrets), parfois au meilleur (Cheyenne
Autumn, Le manteau de pluie), souvent au haut de gamme (Live in Dolores, tournée
Muragostang... ).
Une chose est sûre en revanche, c'est que Jean Louis Murat n'est pas homme
à se laisser bercer par le succès et chaque album est une remise
en cause, une source d'expérimentation (tantôt avec Calexico
ou Elysian Fields, tantôt acoustique, tantôt rock ou plus
électronique) mais toujours une surprise pour l'auditeur et le spectateur.
Ainsi donc, Mustango et sa chevauchée américaine
fut suivie par le plus artisanal Moujik et sa femme, album
en demi teinte, gorgé de belles chansons, qui pourtant n'a pas satisfait
entièrement jusqu'à son auteur.
Après un projet avorté, ou plutôt en attente, d'enregistrement
outre atlantique, Murat a écrit dans une certaine urgence, tout comme
l'enregistrement qui s'en suivit, ce triple album Lilith.
Lilith, le démon, symbole moderne du féminisme dont le nom sonne
parmi les plus sulfureux, à la manière des Lola et Lolita comme
l'a souhaité Murat. Toutefois, dans l'urgence, ça ne veut pas
dire médiocre mais cela siginifie "prompt à saisir l'instant",
l'énergie du moment, l'état d'esprit et cela se ressent sur l'ensemble
du disque.
Dans ce triple album, comme au bon vieux temps, même si dans sa version
CD il tient sur 2 galettes, Murat s'est entouré de Fred Jimenez
et de Stéphane Raynaud, 2 rencontres musicales qu'il
cherchait à faire depuis semble t il très longtemps. Ainsi plus
que le résultat du travail de Murat face à lui même nous
avons ici à faire à un véritable groupe basse batterie,
chant et guitare. Un combo rock parfait. Comme le relève le dossier de
presse, JLM n'a jamais été aussi proche de son Crazy horse
à lui et cela s'entend.
Cet enregistrement quasi live, dans un coin de grange auvergnate, imprègne
tout le disque ; le son est pur et chaleureux, et parfois on croit surprendre
Murat penser tout haut ("La nature du genre") ou siffloter
("le désarmement intérieur").
Si les thèmes abordés sont bien entendu récurrents (la
vie, la mort, soi et les autres, le pire et le mieux ...) les textes, toujours
aussi bien tournés, sont néanmoins un peu moins obscurs et, du
propre aveu de leur auteur, mieux écrits que sur le moujik sur lequel
il reconnait avoir baclé les textes. On sent en revanche que musicalement,
il s'est beaucoup libéré, en d'autres termes, il s'est fait plaisir,
et nous avec.
Ainsi ce n'est rien de moins que 2 membres des Tindersticks qui sont
venus lui préter main forte sur certains morceaux, notamment aux choeurs
mais également et surtout aux cordes (jeu et arrangements). Et cela est
bien perceptible sur "Le mou du chat" (ah ben oui il faut
bien JLM pour oser un tel titre) et surtout sur le splendide "Se mettre
aux anges", merveilleux morceau qui sait méler à la
perfection l'émotion des meilleurs moments muratiens ("Le troupeau"
par exemple) avec le savoir faire du vieux briscard qu'il est, le tout enrobé
des cordes façon Tindersticks prolongement parfait du chant. Mais au
delà de ces arrangements superbes, on imagine une escapade solo, JLM
et sa guitare pour prolonger l'émotion de ce titre sur scène...
à suivre.
Et pour preuve que Murat sait écrire des chansons, sans besoin d'autres
arrangements (Anthony Reynolds nous livrait récement qu'une
bonne chanson peut s'arranger de toutes les façons possibles, Murat le
prouve) il ose sortir tout de suite derrière "Se mettre aux
anges" le beau "Qui est cette fille", seul à
la guitare, tout comme les 6 minutes du "Contentement de la Lady"
et le très beau "Voleur de Rhubarbe" aux accents de
comptine mélancolique.Et quand il prend le contre pied de nos chansons
populaires c'est pour s'approprier "A la claire fontaine" qui devient
sous ses accents mi-bretonnants et mi-orientaux "A la morte fontaine".
Si la plupart des titres sont interprétés par le trio Murat/Jimenez/Raynaud
il est souvent fait appel, hormis au deux compères des Tindersticks,
à quelques choeurs qui ont la bonne idée de ne pas couvrir la
chanson, comme un instrument supplémentaire surlignant çà
et là quelques mesures mettant en valeur le morceau ("Le cri
du papillon", single tubesque ou "L'absence de vraie vie")
ainsi qu'un vrai duo, rare chez Murat (si l'on excepte Madame Deshouilleres
et Isabelle Huppert) avec Armelle Pioline de Holden
qui lui rend la pareille après que JLM ait participé à
un titre sur l'album de Holden, justement.
Mais c'est bien sur sur le premier morceau du 1er disque que le ton est donné.
"Le jour du jaguar" avec ses ronflements de guitares nous
confirme si besoin était tout ce qui est dit ici. Murat et ses 2 compères
ont trouvé leur marque et cet album va faire date. Peut être le
meilleur de Murat, sans doute et paradoxalement un des plus aboutis dans sa
quête du saint graal du rock 'n' roll. Inutile d'envier d'avantage Neil
Young, inutile de vouloir se payer le Crazy Horse quand on a ce talent
ci. Inutile aussi de ne pas chanter en français, cette langue qui parait
si lourde à porter pour nos stars hexagonales (sic) et que JLM rend aussi
belle que sous la plume de nos plus grands poêtes.
Enfin bref, il y aurait tant à dire de ce disque, tant à dire
de Jean Louis Murat, on aimerait attirer votre attention sur le très
rock'n'roll "Gel et Rosée" et sur le plus pop "Emotion"
qui lorgne du coté des plus grands songwriters anglo saxons (on pense
a Lloyd Cole notamment) mais on va vous faire confiance, et vous laisser
découvrir les 23 titres par vous même.
Car il faut se rendre à l'évidence, pour ceux qui n'ont pas encore
bien compris, Murat ne fait pas dans la mièvre chanson française,
Murat est un musicien Folk / Rock qui utilise avec succès la langue de
Molière. Alors oubliez vos préjugés, oubliez Mylene F.
et Pascal O, jetez vos vieux Johnny H. et enfin découvrez ce dont notre
auvergnat est capable.
Justice doit être rendue, qu'on se le dise ! |