Comédie de Marivaux, mise en scène de Galin Stoev, avec Léo Bahon, Maud Gripon, Julie Julien, Aymeric Lecerf, Thibaut Prigent, Jean-Christophe Quenon et Mélodie Richard et Clémentine Verdier.
Dans "La Double inconstance", Galin Stoev offre une vision toute personnelle de la pastorale dramatique imaginée par Marivaux. Là où l’auteur décriait une civilisation corruptrice, libertine et pleine de vanité face à un rêve de retour au naturel, le metteur en scène bulgare y aborde les thèmes des rapports de force et de la soumission des êtres à travers la manipulation de leurs émotions et croyances dans une réécriture très moderne voire post-factuelle et engagée du classique du 18ème siècle.
Pour servir son propos il imagine avec Alban Ho Van une scénographie imposante, dans les beaux décors de Claude Gaillard, où les deux jeunes amants, Silvia (Maud Gripon) et Arlequin (Thibaut Prigent), sont observés tels des rats de laboratoires dans une arène centrale entourée de grande parois vitrées. Tout semble faussement bucolique dans cet espace, recouvert d’un gazon synthétique criard et où sont projetées sur les panneaux d’arrière-plan des images champêtres et forestières de synthèses, bien loin d’un cadre naturel. Tout autour, l’ambiance est plutôt clinique, froide et défraichie, dans un style soviétique assumé. Des écrans d’ordinateurs vintages surveillent en permanence les faits et geste de nos protagonistes, doublés d’une projection vidéo sur le fronton de l’arène, tandis que plusieurs bobines tournent en continu pour enregistrer leurs échanges, sous le control sans bienveillance de Flaminia, Trivelin, Lisette et le bien sûr du Prince. Comble du cynisme, nos cobayes sortent petit à petit de leur prison vitrée pour finir par prendre une part active à leur propre manipulation dans une illustration parfaite de la soumission librement consentie. Ce parti scénique fort doublé d’une direction d’acteurs volontairement outrancière et d’une mise en avant animale des rapports de force au travers de l’incarnation des pulsions sexuelles qui sous-tendent l’intrigue, mettent en relief les aspects les plus dérangeants du texte de Marivaux. Galin Stoev place en effet le spectateur tour à tour dans une posture de rire grinçant, d’effroi glaçant couplé à un voyeurisme malaisant. Nul doute que cette déconstruction clinique des convictions les plus personnelles de nos deux jeunes amants est belle est bien là pour interpeller le spectateur sur la relativité des opinions et de la vérité dans une société où les frontières entre l’intime et le publique se font de plus en plus tenues. |