Monologue dramatique de Delphine Horvilleur interprété par Johanna Nizard dans une mise en scène d'Arnaud Aldigé et Johanna Nizard.
Pour sa première incursion dans le registre théâtral, l'essayiste et conteuse Delphine Horvilleur a choisi la notion et concept d'identité en composant "un monologue contre l'identité, un seul en scène qui s'en prend violemment à toutes les obsessions identitaires du moment".
Elle indique avoir été inspirée par Romain Gary, romancier adepte de l'héteronymie, notamment sous le pseudonyme d'Emile Ajar qui lui a valu d'être pour une seconde fois lauréat du Prix Goncourt avec "La vie devant soi", et de la pratique de l'auto-mytho-biographie, pour célébrer la vertu salvatrice de l'émancipation des dogmes et de la réinvention permanente de son identité.
Avec "Il n'y a pas de Ajar", titre en forme de détournement d'une phrase-citation ce qui n'aurait pas déplu à Romain Gary qui usait du potentiel humoristique des proverbes et locutions, Delphine Horvilleur brasse de manière réflexive et kaléidoscopique de nombreux sujets contemporains délétères, sources de clivage et, pour le moins, de crispations sociétales qui le thème de l'identité et ses corollaires, l’appartenance et de la filiation.
Dont, et entre autres, le phénomène d'archipellisation, le communautarisme de tous bords politiques, sociaux et confessionnels, le repli identitaire, la compétition victimaire, le postulat du "trans" dans le processus de subjectivation et, cristallisées autour du thème de l'identité et de ses corollaires, l’appartenance et de la filiation, et, étant également rabbin au sein de l’association Judaïsme en Mouvement et directrice la revue de pensées juives "Tenou’a", la judaïté.
De plus, elle soutient que le "je", au demeurant porteur d'un héritage "avec pour mission consciente, inconsciente, ou divine, de le transcender", n'existe pas n'étant qu'une fulgurance temporelle capable de toutes les métamorphoses.
Delphine Horvilleur procède judicieusement non par voie maïeutique, telle une docte conférence démonstrative, mais ontologique - et avec autant d'humour que d'iconoclastie - par le truchement d'un personnage fictionnel nommé Abraham Ajar qui se présente comme le fils de l'Emile précité que le public, érigé en investigateur et interlocuteur, débusque dans son antre obscur et secret.
Effectuée avec la collaboration à la dramaturgie du psychanalyste et philosophe Stéphane Habib et de la comédienne Audrey Bonnet, la concrétisation scénique de l'opus opérée par Johanna Nizard et Arnaud Aldigé s'avère une réussite exemplaire.
Par le choix du registre, celui de l'ambiguÏté et de l'illusionnisme théâtral, soutenu par le superbe dispositif scénographique conçu par François Menou consistant en un boîte noir hérissée de lamelles miroitantes sur le mode de l'attraction du palais des glaces propice à suggérer le cloaque existentiel et le labyrinthe de la psyché.
Et par le jeu inspiré et maîtrisé de Johanna Nizard dans son incarnation du protagoniste, ermite des profondeurs de l'humanité et histrion radical, provocateur et cynique, et ses étonnants avatars véhicules pour délivrer ses proférations et son message quasi messianique ainsi résumé par l'auteure : "L’identité figée, celle de ceux qui ont fini de dire qui ils sont, est la mort de notre humanité". |