
J’ai découvert Julie Doucet en 2019 lorsque le dessinateur Nylso m’en a parlé comme étant une de ses grandes inspirations. Forcément, lorsqu’elle a remporté le Grand Prix du FIBD 2022, ma curiosité n’a fait que croître : impossible de rater l’exposition rétrospective qui allait lui être consacrée pour la 50e édition du Festival.

La québécoise Julie Doucet est une artiste culte, mais underground. En d’autres termes, son travail a marqué beaucoup d’auteurs, mais n’est pas forcément très connu du grand public, d’autant plus qu’elle a décidé en 1999 de prendre ses distances avec l’écriture de bande dessinée, et qu’une grande partie de sa production n’est pas disponible en librairie.

L’exposition qui lui est consacrée a le gros défaut d’être complètement désorganisée et de n’offrir aucun cartel pour permettre de remettre un tant soit peu en perspective ce que l’on voit : tant pis pour les visiteurs qui n’auraient pas eu la présence d’esprit de prendre le feuillet explicatif à l’entrée. En revanche, on peut lui reconnaître le mérite de donner à voir toute l’énergie de son foisonnement créatif.
Au rez-de-chaussée, on découvre de nombreuses planches originales réalisées du milieu des années 80 à la fin des années 90 pour diverses revues, dont son fanzine personnel autobiographique Dirty Plotte (en argot québécois, "plotte" est un équivalent de "salope").
Julie Doucet écrit en français, en anglais, en allemand. Elle raconte son quotidien, ou plutôt part de la matière brute de ce quotidien pour développer des récits hallucinatoires ou des réflexions sans détours sur l’identité féminine.
Pas de filtres, pas d’enjolivements. Son obsession des Tampax, ses délires sexuels, ses cauchemars récurrents (particulièrement bien racontés) : elle livre tout, tout cru.
Graphiquement, c’est très impressionnant. Sur de petits formats, elle tisse des dessins très denses et étonnamment structurés. Le fond est brut, mais la forme représente un travail colossal et très soigneux, où le texte est traité comme un élément graphique à part entière. Des vitrines permettent de voir des carnets préparatoires et aussi des productions d’art postal, qui allait souvent de pair avec les envois de fanzines au siècle dernier (tout se perd…).

A l’étage, on découvre tout ce à quoi Julie Doucet s’est consacrée depuis qu’elle s’est officiellement éloignée de la bande-dessinée proprement dite, notamment des collages très minutieux où la matière-texte est traitée avec maestria. On peut aussi admirer Suicide total, sa dernière œuvre tout juste parue à l’Association, un incroyable leporello de près de 20 mètres de long (!) sur lequel elle raconte, sur un flux continu de visages et de textes tracés à l’encre, un souvenir de jeunesse.
Dommage au final que la scénographie de l’exposition ne soit pas réellement pensée pour rendre cette œuvre très riche accessible à ceux qui ne la connaissaient pas.

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