Comédie dramatique de Samuel Beckett, mise en scène d'Alain Françon, avec Gilles Privat, André Marcon, Guillaume Lévêque, Eric Berger et Antoine Heuillet.

Après cinq décennies de carrière inaugurée avec "Fin de partie" et "La dernière bande", le metteur en scène Alain Françon revient à l'oeuvre dramatique de Samuel Beckett avec "En attendant Godot" placé sous obédience du tropisme beckettien de la boucle temporelle, tel dans "Fin de partie" et "Oh les beaux jours".

La partition au comique burlesque relate une journée-type de la vie de deux personnages, Vladimir-Didi et Estragon-Gogo qui, dans un no man's land, sans velléité d'en quitter la "merdecluse", la vacuité d'un espace-temps indéfini et sous obédience du vide existentiel, attendent l'arrivée hypothétique, et toujours reportée, mais essentielle d'un troisième homme dont la qualité et le motif de la venue ne sont jamais précisés.

En réalité, Godot, sur lequel Samuel Beckett a écrit "Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s’il existe", n'est pas au coeur de l'argument mais une "arlésienne" qui sert de macguffin à une réflexion sur l'attente, en l'espèce celle obsessionnelle, celle de la fin qui précède le néant et d'une échéance contre laquelle il n'y a "rien à faire", ainsi qu'noncé dans la première réplique polysémique.

Rythmée par trois antiennes, "On attend Godot", "La nuit ne viendra-t-elle jamais ?", "En attendant, il ne se passe rien", cette attente se déploie en conversations répétitives avec des dialogues perclus de sentences et de lieux communs à peine interrompue par la halte de deux voyageurs encordés illustrant la dialectique maître-valet avec l'ambiguïté du lien de soumission.

Dans la scénographie imposée traduite par Jacques Gabel, lieu monochrome avec l'arbre sec et une grosse pierre, Alain Françon présente un spectacle exemplaire, voire même - peut-être pour certains - idéal au regard de la volonté de l'auteur qui, comme pour tous ses opus, se manifeste par une surabondance de didascalies afférentes tant à la scénographie qu'à la mise en scène et au jeu des acteurs, laissant peu d'espace de liberté à "la vision" d'autrui.

Il dirige au cordeau Guillaume Lévêque, Eric Berger et Antoine Heuillet respectivement dans les rôle du duo Pozzo-Lucky et le messager.

Et combo gagnant pour incarner les deux iconiques clochards célestes avec deux comédiens au sommet de leur art : Gilles Privat, le Vladimir qui se rappelle et qui sait mais qui n'en est pas plus avancé pour autant, et André Marcon, l'Estragon pleurnichard à la mémoire de poisson rouge, toujours préoccupé par ses impératifs physiologiques, qui voudrait bien mais ne peut pas.

Ils apportent un supplément d'humanité aux carcasses beckettiennes et leurs silhouettes contrastées, l'une longiligne, l'autre trapue, évoque celles de Don Quichotte et Sancho Panza embarqués non dans la quête de l'inaccessible étoile mais dans l'attente de son extinction.