Spectacle conçu par Bruno Geslin et Pierre Maillet, mise en scène de Bruno Geslin, avec Pierre Maillet, Elise Vigier et Jean-François Auguste.
Avec "Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée...", Bruno Geslin, vidéaste, photographe et metteur en scène, et Pierre Maillet, comédien, ont conçu un opus théâtral aussi singulier au fond qu'en la forme autour des thèmes de l'érotisme, du travestissement et du fétichisme et de la personnalité d'un artiste précurseur du Body art.
Et en sus double car il résulte de l'imbrication de deux partitions complémentaires. L'une, non un biopic mais, inspiré de ses propos au cours d'entretiens avec Pierre Chaveau en 1972, constitue une évocation de la vie et de l'oeuvre de Pierre Molinier (1900-1976) pour lequel le corps de l’artiste est le matériau de son œuvre et notamment connu par sa série de photomontages surréalistes de jambes gainées de bas noir intitulée "Mes Jambes". L'autre, une performance ressortant au happening joyeux autour des tropismes molinériens
Dans une scénographie de paravents et un rideau à lamelles à la fonction d'écran pour projection de vidéos et images d'archives, Bruno Geslin emprunte au chromatisme lumineux du théâtre d'ombres, qui, en l'espèce, n'est pas sans résonance avec le voyeurisme du peep-show, pour construire un univers plastique en adéquation avec celui fantasmagorique de Pierre Molinier qui évite toutefois le glauque comme le ridicule par sa mise en scène d'une cosmogonie du corps ritualisé.
Avec un mimétisme troublant, Pierre Maillet incarne Pierre Molinier le facétieux voire farceur à la scansion frénétique et à l'accent chantant qui explicite, de la confidence à la conceptualisation, et avec un humour aussi inattendu que désarmant, ses obsessions et pratiques sexuelles ressortant notamment à un auto-érotisme assumé et désinhibé révélatrices tant de son narcissisme exhibitionniste que de son appétence pour la provocation libertaire.
Et comme tout est jeu dans la partition proposée, double jeu compte tenu de la triplicité du protagoniste, homme, personnage qu'il s'est créé et artiste, il s'avère le meneur de jeu et de jeux, grand maître d'une fascinante sarabande "new fetish" dans laquelle interviennent des doubles en miroir, les dédoublements janusiens d'un idéal corps ambivalent et les partenaires érotisés, figurés par Elise Vigier et Jean-François Auguste eux aussi corps corsetés, bas noir et stilettos.
Le spectacle commence dans l'obscurité avec un message d'alerte dispensé par une étrange voix, de celle généralement attribuée aux extra-terrestres, invitant, toutefois de manière quasi comminatoire, le public à se relaxer, tel dans une séance d'hypnose, pour vivre l'expérience transcendantale des voix du bonheur qui se confondent avec celles de la liberté et de la pleine réalisation de son moi profond.
Quelle que soit la portée effective du message tel qu'illustré par le parcours de Pierre Molinier, le spectacle placé sous le signe du corps exultant et jubilatoire s'avère une superbe réussite. |