Comédie dramatique écrite et mise en scène par Emma Dante, avec Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco, Leonarda Saffi et Simone Zambelli.
Revoilà Emma Dante avec "Misericordia" ! Avec son théâtre minimaliste et fraternel, ses femmes courageuses, querelleuses, la langue bien pendue et des rires tonitruants contre la misère ou plutôt "leur" misère. Celle qui leur colle à la peau, leur unique arme contre un montre impitoyable...
Ceux qui ont vu "Le Sorelle Macaluso" (2014) ou "Bestie di scena" (2017) se réjouissent instantanément quand, sur une scène quasi vide, se profilent en arrière plan quatre personnages assis sur quatre chaises, en train de tricoter et de parler fort.
Pour les autres, il ne faudra que quelques secondes pour ressentir la puissance d'un théâtre aussi simple, où les voix et les corps suffisent à emporter toute une salle dans un ailleurs sicilien ou napolitain dont on perçoit toutes les conventions, comme jadis dans les comédies italiennes cinématographiques, mais des conventions débarrassées de tout gras et réduites à l'essentiel.
Ici, donc, sur leurs sièges, trois femmes et un garçon mutique aux grands gestes désordonnées. Elles s'appellent Anna, Nuzza et Bettina et leur compagnon Arturo. Ces trois prostituées élèvent ensemble ce faible d'esprit, qu'elles ont pris en charge à la mort d'une des leurs, tombée sous les coups de son mari.
Ah ! Ce n'est pas reluisant, l'univers de Dante faite femme. Un autre enfer, mais sur terre. Les trois femmes au grand cœur ont aussi de grandes bouches et élever Arturo, cela suscite bien des colères ! On saura tout ça en une heure et pas beaucoup de mots distincts échangés. Surtout des sons, dans des langues italiennes largement minoritaires et dans un langage propre à la dramaturge.
De quoi remplir une scène apparemment vide, avec des chorégraphies, des chants et des rondes... et aussi beaucoup de fraternité. Malingre, chauve, désarticulé, Arturo est interprété par un danseur, Simone Zambelli, qui déploie ses longs bras comme des ailes et occupe extraordinairement l'espace scénique. Il sait pourtant arracher des larmes et des rires quand il est confronté au trio d'amour qui le rudoie ou l'étouffe.
Sans être italophone, ses "mamma" sont puissants comme les cris d'amour des humbles. Il a fort à faire, et y réussit admirablement bien, face aux trois comédiennes d'exception qu'Emma Dante magnifie : Italia Carroccio, Leonarda Saffi et Manuela Lo Sicco, et qui suscitent chaque soir des torrents d'applaudissement.
Il faut le répéter pour que la chose soit universellement admise : c'est simple, c'est beau, c'est du théâtre. Le secret du spectacle chaleureux d'Emma Dante n'a d'autre explication qu'un amour sans partage de l'auteure-metteure en scène pour ces petites gens dont elle montre que la truculence n'est pas du pittoresque, mais une arme de défense contre les violences auxquelles ils sont confrontés.
Déversant des torrents de mots, comme des torrents de larmes, ils sont pour Emma Dante des héros. Beaux, émouvants, pathétiques. |